Grammaire

Les conditionnelles: l'emploi de εἰ et de ἄν

Un système conditionnel est fondé sur deux propositions étroitement associées: l'une projette la condition, d'où son nom de πρότασις, protase tandis que l'autre exprime le résultat de la condition, d'où son nom de ἀπόδοσις, apodose. Ces deux propositions sont, pour le sens, finalement indépendantes, ce qui explique que jamais le mode de la protase n'entraîne automatiquement le mode de l'apodose!

1°) Il est important de comprendre tout d'abord que la protase peut représenter trois attitudes de l'esprit, ce qui va entraîner des formulations différentes:

- la protase repose sur la réalité donnée, ou ce qui peut être considéré comme tel:

S'il est vrai que tout homme a droit à un hommage funèbre, Antigone a raison.

- la protase se fonde sur une éventualité, que ce soit un cas particulier ou un cas général:

Si Créon refuse le droit d'enterrer Polynice, il verra Antigone se dresser contre lui.

Si Créon parlait à Antigone, elle refusait de l'entendre.

- la protase spécule sur une possibilité: elle peut alors échafauder une hypothèse pour elle-même, soit la confronter avec les conditions de la réalité au moment considéré pour voir si elle est compatible ou non avec ces mêmes conditions. Il s'agit là des notions de potentiel, d'irréel du présent ou du passé qui existent aussi en latin.

2°) Ces précisions données, nous pouvons maintenant comprendre les diverses formulations qui en découlent.

a) La protase repose sur la réalité:

Le mode employé est logiquement l'indicatif parce qu' en formulant la condition on la considère comme remplie dans la réalité; notons que nous exprimons la même chose en français après la tournure "s'il est vrai que", sans éprouver réellement le moindre doute sur la réalité de l'assertion. La protase peut alors se situer aussi bien dans le présent que dans le passé; et nous pouvons donc trouver dans la protase et l'apodose tous les temps de l'indicatif (plus rarement le parfait).

εἰ δὲ τοῦ χρόνου

πρόσθεν θανοῦμαι [protase] , κέρδος αὔτ᾽ ἐγὼ λέγω.[apodose]

S'il est vrai que je mourrai avant mon temps, je déclare que c'est pour moi tout profit [Antigone admet comme une évidence sa prochaine mise à mort, il n'y a là aucun doute]

εἰ dans la protase, indicatif

b) La protase se fonde sur une éventualité:

La protase suppose soit un cas particulier appartenant à l'avenir, soit un fait général dont la réalisation est l'objet d'une attente. Dans un cas comme dans l'autre, le mode éventuel c'est à dire le subjonctif est employé régulièrement accompagné de la particule ἄν. Il est parfois difficile d'établir une distinction entre le futur qui donne l'avenir comme réalité proche et le subjonctif qui attend une éventualité...

ἐχθίων ἔσῃ σιγῶσ'[apodose], ἐὰν μὴ πᾶσι κηρύξῃς τάδε [protase] , en te taisant, tu te feras encore plus détester de moi si tu ne publies pas partout ce que je dis (Antigone parle à Ismène, elle envisage comme une éventualité, sous forme négative, la délation de sa soeur)

ἐὰν dans la protase, subjonctif, futur seul dans l'apodose

c) La protase spécule sur une possibilité:

En principe toute possibilité devrait s'exprimer à l'optatif, qu'elle porte sur le présent , qu'elle soit future ou rétrospective. L'usage en a voulu autrement...Il apparaît plusieurs situations possibles:

- l'hypothèse est compatible avec la réalité, présente ou future; on parle alors de potentiel:

Sophocle, Electre φαίη δ'ἂν ἡ θανοῦσα, εἰ φωνὴν λάβοι, la morte dirait, si elle avait la parole [hypothèse]

εἰ dans la protase, ἂν dans l'apodose, optatif

- l'hypothèse est incompatible avec les conditions de la réalité présente: on parle alors d'irréel, irréel du présent ou irréel du passé.

Platon Le Banquet Εἰ μὲν γὰρ εἶς ἦν ὁ Ἔρως, καλῶς ἂν εἶχε. νῦν δέ... , si l'Amour était unique, ce serait bien; mais en réalité...[l'irréel exprime qu'il s'agit là d'une pure hypothèse de l'esprit incompatible avec la réalité, l'amour unique n'existe pas...]

εἰ dans la protase, ἂν dans l'apodose, indicatif imparfait ou aoriste