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Quelques fables d’Avianus qui dévoilent l’humour de leur auteur :

[1] LA PAYSANNE ET LE LOUP Un jour, une paysanne dont l'enfant pleurait l'avait grondé en le menaçant, s'il ne se taisait, de le faire manger par le loup féroce. Un loup trop crédule entend ces paroles et reste à la porte, montant la garde et faisant des vœux inutiles. Car, cédant à la fatigue, l'enfant tombe dans un long sommeil et ôte ainsi au ravisseur jusqu'à l'espoir d'assouvir sa faim. Quand il regagna sa retraite dans les forêts et que la louve son épouse le vit rentrer à jeun : « Pourquoi, lui dit-elle, ne rapportes-tu pas de butin, comme d'habitude ? Et pourquoi as-tu cette face défaite, cet air déprimé et renfrogné ? » -- « Ne t'étonne point, répondit-il, si, trompé par une méchante ruse, j'ai pu à peine, hélas ! Me sauver sans rien dans les dents. Car, de quelle proie, effrontée, de quel espoir même pouvais-je me repaître, quand par ses gronderies une nourrice me payait de mots ? » Que celui-là se sente ici visé et désigné qui a eu foi à la parole d'une femme.

[15] LA GRUE ET LE PAON L'oiseau de Junon se prit de querelle, dit-on, avec la grue, habitante de la Thrace, qui partageait son repas. Leur désaccord était né de la différence de leurs beautés et voilà que d'une discussion d'abord amicale elles passent à une violente altercation. Le corps du paon, disait-il lui-même, brille de mille nuances magnifiques, tandis que son dos plombé fait paraître la grue toute bleuâtre. En même temps, relevant et étalant les grandes plumes qui revêtent sa queue, il avait fait rayonner jusqu'aux astres l'éclat de son plumage déployé en forme d'arc. La grue, bien qu'incapable de lutter contre lui par la beauté de ses plumes, put cependant, dit-on, lui adresser ces paroles humiliantes : « Si variées que soient les nuances et les dispositions de tes plumes, tu traînes toujours dans la boue cette queue ornée de fleurs, tandis que moi, avec mes vilaines ailes, je m'élève dans les airs jusqu'au voisinage des étoiles et des dieux

[20]LE PÊCHEUR ET LE POISSON Un pêcheur, habitué à prendre avec sa ligne de quoi se nourrir, tirait de l'eau un tout petit poisson de peu de poids. Mais quand il eut amené sa prise à l'air et qu'il eut dégagé de sa gueule avide le fer qui s'y était enfoncé : « Épargne-moi, je te prie, lui dit le poisson en le suppliant avec des larmes. Quel grand profit en effet retireras-tu de moi ? A l'instant ma mère féconde vient de me produire sous des cavernes creusées dans les roches et m'a envoyé jouer dans les eaux qui lui appartiennent. Renonce aux menaces et, puisque je suis encore tout jeune, laisse-moi croître pour être servi sur ta table : tu me reprendras sur ce rivage. Bientôt, après m'être repu dans les eaux de l'immense Océan, devenu plus gros, je reviendrai mordre volontairement à l'hameçon de ton roseau. » Le pêcheur réplique qu'il n'est pas permis de rendre la liberté à un poisson qui s'est fait prendre et allègue avec des plaintes les chances trop incertaines du coup de filet. « Les malheureux, dit-il, n'ont pas le droit de laisser échapper la proie qu'ils tiennent ; c'est une sottise plus grande encore de remettre à plus tard la jouissance de l'objet de nos vœux. »

[26] LE LION ET LA CHÈVRE Un lion avait aperçu une chèvre broutant sur le sommet d'un rocher, alors qu'il passait tout près d'elle et qu'il était pressé par la faim. « Holà ! dit-il en prenant le premier la parole, laisse ces hauteurs rocailleuses et escarpées et ne va pas chercher ta pâture sur ces crêtes incultes ; mais cherche au milieu des vertes prairies, la fleur safranée du cytise, les saules aux feuilles glauques et le thym savoureux. » -- « Cesse, je te prie, répondit la chèvre d'une voix plaintive, de troubler perfidement ma tranquillité par des ruses doucereuses. Tes avis peuvent être conformes à la réalité, mais il y a des dangers plus réels encore que tu me dissimules : ton caractère ôte à tes paroles toute créance. Car si raisonnable que soit l'expression de tes conseils, la férocité de celui qui les donne les rend suspects.

[32] LE VILLAGEOIS ET HERCULE Un villageois avait laissé enfoncés dans un bourbier profond son chariot et ses bœufs encore attachés au lourd attelage : il espérait, mais en vain, que les dieux, une fois sa prière formulée, viendraient le secourir, sans qu'il eût à bouger. Le héros protecteur de Tirynthe (car c'est le dieu qu'il supplie d'accomplir ses vœux) se met à lui dire du haut des cieux : « Ne cesse pas d'exciter avec l'aiguillon tes bœufs harassés et tâche d'aider de tes mains les roues immobiles. Quand tu auras affronté la difficulté et épuisé toutes les ressources de tes forces, alors tu pourras rendre les dieux favorables à tes désirs. Apprends que les dieux ne se laissent pas fléchir par les vœux d'un paresseux et obtiens leurs secours en agissant toi-même. »

[35] LA GUENON ET SES PETITS On dit que, lorsque la guenon met bas deux petits, elle les traite d'une manière inégale : elle élève l'un avec une tendre affection de mère, tandis que pour l'autre, elle déborde de haine. Quand elle a ses petits dès qu'un bruit un peu fort l'effraie, elle les emporte chacun dans une position différente : celui qu'elle chérit, elle le tient sur ses bras ou sur son sein avec amour et celui qu'elle n'aime pas, elle le porte sur son dos. Mais quand ses membres fatigués ne peuvent plus la soutenir, elle abandonne volontairement son fardeau de devant. L'autre petit entourant de ses bras le cou velu de sa mère s'y cramponne et fuit avec elle en dépit d'elle-même. Bientôt il reçoit à son tour les baisers d'abord réservés à son frère préféré, étant désormais l'unique héritier de ses vieux parents. Ainsi en peu de temps de grandes choses tombent dans un profond oubli et, la chance tournant, la fortune relève de nouveau ceux qui sont tombés bas.

 

[36] LE VEAU ET LE BOEUF Un veau magnifique, fier de n'avoir pas encore connu le joug, avait vu un boeuf qui traçait sans fin des sillons dans un champ. " N'as-tu pas honte, dit-il, à ton âge de supporter cet attelage sur ton cou et de n'avoir pas encore secoué le joug pour connaître le repos ? tandis que moi je peux librement courir sur un tapis d'herbes ou encore chercher l'ombre des bois." Le vieux boeuf, sans s'émouvoir de ces paroles, retournait toujours péniblement la terre avec le soc, en attendant le moment où, quittant la charrue, il pourrait dans la prairie s'étendre mollement sur un lit de gazon. Mais à l'instant, en se tournant, il voit le veau conduit à l'autel des dieux et marchant vers le couteau du victimaire. « Voilà, lui dit-il, la mort que tu dois à la fatale indulgence qui t'a dispensé du joug que je porte. Mieux vaut donc supporter le travail, si pénible qu'il soit, que de goûter, jeune encore, un repos qui doit bientôt prendre fin. » Tel est le sort des hommes : pour les plus heureux la mort vient vite, tandis que les malheureux ont une longue vie.

[42] LE LOUP ET LE CHEVREAU Une fois un chevreau, grâce à sa rapidité plus grande, avait déjoué les attaques d'un loup, pendant qu'il allait de son étable dans les champs voisins. De là il s'enfuit directement vers l'enceinte des murs et s'arrêta au milieu d'un troupeau de moutons. L'ardent ravisseur qui l'avait suivi jusque dans la ville essaie de l'attirer par des ruses savantes. « Ne vois-tu pas, dit-il, dans tous les temples la victime abattue sous le couteau cruel rougir le sol de son sang. Si tu ne peux pas revenir au champ où tu es en sûreté, toi aussi, hélas ! tu tomberas comme victime, la tête ornée de bandelettes. » — « Quitte, je te prie, dit l'autre, la crainte et le souci que tu as pour moi et épargne-moi, méchant, ta présence et tes vaines menaces. Mieux vaudra, en effet, verser mon sang en l'honneur des dieux que d'assouvir l'appétit d'un loup affamé. » Ainsi, quand on est pris entre deux dangers, le meilleur parti est de choisir une mort honorable.