Ovide, Fastes, 3, vers 595-625

traduction du texte

Voici une traduction de M. Nisard, Paris, 1857 (très légèrement adaptée), tiré du site de la BCS :

L'exilée de Tyr est ballottée sur la surface des ondes soulevées; elle cache dans ses vêtements son visage tout baigné de pleurs. Alors pour la première fois, Didon, sa soeur, lui semble heureuse, et toutes celles dont la dépouille repose au sein de la terre. Le vaisseau emporté par un violent coup de vent vient échouer sur le rivage de Laurentum; à peine tous se sont-ils élancés à terre, [3, 600] qu'il s'enfonce et disparaît sous les flots. Le pieux Énée possédait alors et le royaume et la fille de Latinus; son hymen avait cimenté l'alliance des deux peuples. Tandis qu'accompagné du seul Achate, il se promène sur ces rives, présent de Lavinie, et que son pied foule la grève solitaire, [3, 605] une femme errante s'offre à lui; c'est Anna! En croira-t-il ses yeux? Qui peut l'avoir amenée dans le Latium? il doute encore. C'est Anna! s'écrie Achate, et à ce nom elle a levé la tête: où fuir, où se cacher? Que ne peut-elle s'abîmer dans les profondeurs de la terre? [3, 610] Toute la destinée d'une soeur infortunée se retrace à sa mémoire. Le fils de Vénus voit son émotion, et la rassure avec bonté; mais en apprenant la mort d'Élissa, lui-même il verse des larmes."Anna, je le jure par ces contrées où m'appelaient à régner, comme tu le sais, des destinées plus heureuses, [3, 615] je le jure par les dieux compagnons de mon exil, et à qui je viens de rendre ici leurs autels, souvent ces mêmes dieux, me pressant de partir, avaient accusé mes lenteurs; mais qu'elle mourût! ah! j'étais loin d'une si terrible pensée. Hélas! son fatal courage a surpassé toute attente; mais ne me retrace pas ce tableau lugubre! Quand j'ai pénétré dans les royaumes du Tartare, [3, 620] j'ai vu Didon, j'ai vu son sein déchiré d'une indigne blessure; mais toi, soit que ta volonté, soit que l'ordre des dieux t'amène sur nos rivages, jouis en paix, dans ces lieux où je règne, de tous les biens qu'ils peuvent t'offrir. Je te dois beaucoup; je ne devais pas moins à Élissa; je t'aimerai pour toi, pour ta soeur infortunée." [3, 625]