Pour un travail comparé!

Voici un extrait de l'étude consacrée de Gustave Lanson à l'oeuvre de Bernardin de Saint Pierre Paul et Virginie; vous rechercherez en quoi ce roman a pu s'inspirer de l'oeuvre de Longus et ce que signifie dans le contexte dans lequel il a été écrit le changement de perspective dramatique pour la fin.

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" C'est la même puérilité de philosophie que dans les Études de la nature, avec une psychologie étonnamment courte. Deux enfants s'aiment ingénument depuis leur naissance. Ignorants et pauvres, loin de toute civilisation, sans contact avec la société, affranchis des usages tyranniques, des préjugés corrupteurs, des faux besoins, des vaines curiosités, ils sont heureux et vertueux. La société les sépare : Virginie est appelée en France par une parente riche, donc égoïste. Notre monde effraie, dégoûte sa pauvre âme ; elle revient, et meurt dans un naufrage, sous les yeux de paul. Paul et les deux mères meurent bientôt. Nul enjolivement, pas d’esprit, pas d’intrigue, pas de peinture de moeurs. Une promenade de Paul et Virginie, une averse torrentielle, la crise du départ, la tempête où se perd le Saint-Géran : voilà les événements et les ressorts de l’émotion.Le cadre est séduisant : c’est la nature des tropiques avec se richesse éclatante et ses étranges violences. Deux ou trois paysages de l’Île de France, deux ou trois états du ciel : rien de plus, et cela suffit. Pas de rhétorique, mais un impressionnisme sincère et puissant. Des mots propres, inouïs, bizarres, palmistes, tatamaques, papayers, dressent devant les imaginations françaises, toute une nature insoupçonnée et saisissante. À peine quelques fausses notes que la sentimentalité philosophique de l’époque ne remarquait pas […] Rousseau nous montrait Montmorency, la Savoie, la Suisse, une nature connue et familière. Ici, nous sommes dépaysés ; et l’étrangeté de ce monde exotique a une force particulière pour exciter en nous le sentiment des beautés naturelles. L’effet de ce petit roman fut immense en 1787. Les beaux esprits avaient bâillé quand l’auteur l’avait lu chez madame Necker : ils ne comprenaient pas qu’ils étaient dépassés. Sur le monde malade d’un abus d’esprit, lassé de la vie la plus artificielle qui fut jamais, disposé déjà par Jean-Jacques à goûter le sentiment plus que la pensée, cette églogue rafraîchissante tomba. L’innocence naïve, la nature sauvage, cela reposait du raffinement extrême des idées et des moeurs ; cela remplissait le vide secret, consolait le profond ennui des cœurs. Nous en rabattons un peu aujourd’hui. L’églogue paraît mince et fade. Il ne faut pas comparer ce couple de Paul et Virginie aux amoureux de Dante ou de Shakespeare, à Paolo et Fancesca, à Roméo et Juliette. Cependant Bernardin de Saint-Pierre a créé deux types, qui vivent : ce n’est pas peu sans doute. Ce ne sont pas deux caractères, ce sont deux noms, quelques sentiments élémentaires, simples, larges, plus rêvés qu’observés, quelques attitudes gracieuses ou touchantes ; c’est un doux et triste songe d’amour pur, par lequel l’humanité se repose des réalités rudes. Paul et Virginie sont d’irréelles et suaves figures de poème ; un sentiment élégiaque et lyrique les a créées. Ils sont de la famille des êtres que créeront Chateaubriand, Byron et Lamartine. Mais ils sont tout détachés de l’auteur qui les a formés, indépendants aujourd’hui de sa certaine personnalité, élevés à l’infinie réceptivité des légendaires symboles. Et enfin, grande nouveauté, ils sont très sensiblement conçus selon un idéal précis de beauté formelle. […] Voilà comment Bernardin de Saint-Pierre a puissamment contribué au renouvellement de la littérature. L’insignifiance de l’idée fait ressortir plus fortement l’impression poétique ou pittoresque. Avec une philosophie moins niaise, il représenterait moins bien un moment décisif de l’évolution du goût en France. [Bernardin de Saint-Pierre a inventé la mer. Elle n’avait pas sa place encore dans la littérature française à part quelques vers de Saint-Amant. Elle fait une entrée triomphale par le Voyage à l’Île de France et par Paul et Virginie.]" Source : Gustave Lanson, Histoire de la littérature française, 1894