Commentaire

Ce premier extrait écrit par Pausanias pose notre problématique. Comment peut-on approcher un sculpteur dont on a perdu toute oeuvre? Comment peut-on retrouver un artiste dont la postérité ne repose que sur des copies difficilement authentifiables? Comment peut-on parler aujourd'hui de l'art de Praxitèle? C'est poser alors dans un premier temps le problème des sources littéraires.

La biographie de Praxitèle comprend une suite de mystères et d' incertitudes que nous allons tenter de découvrir.

"Comment construit-on la connaissance d'un artiste de l'Antiquité? A partir de quelles sources? Qu'est ce que la légende des artistes? En quoi les auteurs anciens ont-ils construit une histoire mythique des artistes de l'Antiquité? Comment le mythe est-il réactualisé à partir de la Renaissance? "(Maryvonne Cassan) " Ce sont là les questions à poser à ce premier extrait.

Nos connaissances de Praxitèle sont difficiles; elles proviennent essentiellement de sources littéraires et de fragments épigraphiques qu'il nous faut croiser pour tenter de tracer une esquisse biographique.

Base d'une statue de Kleiocrateia
portant la signature de Praxitèle, musée de l'Agora Athènes


"Datée des années 360-350 av.J.-C., cette base de statue a été trouvée vers 1936 dans un mur de l'Agora d'Athènes. Il s'agit du parement extérieur en marbre d'un piédestal. Elle porte une dédicace à Déméter et Coré et la mention de deux dédicants : " Kleiocrateria fille de Polyeuctos et femme de Spoudias ". Tandis que plus bas est indiqué : " Praxitèle a fait ". Cette dédicace permet de dater cette oeuvre approximativement de 360-350 av. J.-C.; en effet, Polyeuctos et Spoudias sont connus grâce à Démosthène (384-322 av. J.-C.). L'orateur signale le conflit intervenu entre Spoudias et le beau-frère de sa femme, son client; le procès eut lieu en 361 av. J.-C. ce qui donne un des rares jalons chronologiques de la carrière de Praxitèle. Cette base de statue nous renseigne aussi sur la clientèle du sculpteur: il s'agit de familles athéniennes aisées. En revanche, on ne sait rien des statues érigées sur cette base mais il est possible qu'elle ait supporté trois portraits féminins provenant du sanctuaire de Déméter et Coré. Elle constitue un des rares documents épigraphiques de la carrière de Praxitèle.
On sait peu de choses de Praxitèle et l'on ignore quand commence et quand s'achève sa carrière. Les sources épigraphiques fournissent cependant d'autres éléments qui croisés avec les sources littéraires permettent de reconstituer des fragments d'une biographie. On considère qu'il était né vers 400 av. J.-C. et qu'il serait mort vers 330 av. J.-C. On pense qu'il était le fils du sculpteur Céphisodote, auteur d'un groupe statuaire connu Eirènè portant l'enfant Ploutos. Sa famille était athénienne. Lui même était père d'un sculpteur prénommé comme son grand-père Céphisodote. Le nom de Céphisodote II est connu par l'épigraphie car il figure à plusieurs reprises dans les listes des citoyens soumis à l'obligation des liturgies (ces tâches d'intérêt public payées par un particulier); en 340 av. J.-C., les liturgies furent réformées par une loi inspirée par Démosthène et seuls les trois cents citoyens les plus riches d'Athènes devaient les payer; or à partir de 335 av. J.-C., Céphisodote II figure plusieurs fois sur les listes et son nom apparaît suivi de celui de son père Praxitèle. En 326-325, il assume la fonction de triérarque principal mais son nom n'est plus suivi du patronyme ce qui laisse supposer que Praxitèle meurt vers cette date. Ces mentions livrées par les sources épigraphiques montrent que Praxitèle et son fils faisaient partie des citoyens les plus riches d'Athènes sans que l'on sache si cette aisance est attribuable au métier de sculpteur.
Praxitèle comme de nombreux sculpteurs de l'époque classique signait ses oeuvres. La pratique de la signature qui signale une conscience d'artiste est connue en Grèce depuis l'époque archaïque. Cependant le mot artiste n'existait pas. Si dans la Grèce du IVe siècle avant J.-C. on distinguait l'artisan de l'artiste, les artistes n'accédaient pas cependant à une notoriété suffisante pour faire l'objet d'une biographie particulière. Il n'existe pas de vies d'artistes illustres dans l'antiquité. Les artistes ne figurent pas dans les Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque (50 apr. J.-C.), recueil de biographies plus ou moins légendaires d'hommes d'Etat et de généraux. Plutarque s'explique sur cette absence et signale ainsi la médiocre considération dont les artistes faisaient l'objet. " Nous prenons plaisir, dit-il, à l'oeuvre tout en méprisant l'ouvrier. Il n'y a pas un jeune homme bien né qui pour avoir vu la statue de Zeus à Pise ou celle d'Héra à Argos souhaite d'être un Phidias ou un Polyclète, car un ouvrage peut nous charmer pour sa beauté sans entraîner nécessairement l'admiration pour son auteur." Les auteurs antiques font donc une distinction entre l'oeuvre et son auteur et ne donnent que peu de renseignements sur les artistes.
Praxitèle n'échappe pas à cette relative ignorance et si les sources littéraires le citent souvent, elles ne disent rien sur sa vie. Pourtant Praxitèle était célèbre dès l'Antiquité comme l'atteste cette remarque de Varron vivant au Ier siècle av. J.-C. : " Grâce à l'excellence de son talent, Praxitèle n'est inconnu d'aucun homme un tant soit peu cultivé ".
Trois auteurs romains mentionnent Praxitèle à plusieurs reprises: Pline L'Ancien, Athénée et Pausanias."( Maryvonne Cassan)

Nous aurons l'occasion au fil des textes de comprendre que la biographie de Praxitèle ne nous est connue que par quelques anecdotes, dont ses amours avec la courtisane Phryné, qui ont surtout nourri l'imaginaire des hommes au cours des siècles.

"Aujourd'hui si l'on fait un bilan de notre connaissance de Praxitèle force est de constater qu'elle reste superficielle et que " les oeuvres connues par plusieurs catégories de sources sont très rares; le croisement entre les témoignages littéraires et les inscriptions sorties des fouilles n'est possible qu'exceptionnellement" (Praxitèle, Catalogue de l’exposition, 2007)). Mais Praxitèle a nourri l'imaginaire."( Maryvonne Cassan)

Il peut être intéressant de comprendre les difficultés que peuvent d'autre part nous poser les sources littéraires des descriptions fournies par des grands voyageurs comme Pausanias ou Strabon.

"Les témoignages littéraires ou épigraphiques, qui ne sont, rappelons-le, jamais de simples descriptions, sont le plus souvent allusifs. Leur surinterprétation est alors dangereuse et peut conduire à une attribution gratuite ou à la création par les modernes de types statuaires imaginaires. Est-il prudent de rechercher les échos de la Catagousa (une "fileuse", une "Perséphone descendant aux Enfers"?), de la Stephanousa ("une femme à la couronne"?), ou de la Pséliouménè ("une femme au bracelet?) citées par Pline dans une phrase dont nous comprenons à peine le sens global." (Jean- Luc Martinez, Praxitèle, catalogue de l'exposition 2007 au Louvre)

Ainsi que penser de ce témoignage de Pausanias?

"Reconnu le plus souvent dans le type statuaire désigné sous le nom de Satyre verseur dont nous sont parvenues plus de trente répliques en marbre et des représentations sur des reliefs. Confondu pour conforter cette hypothèse avec le Satyre Païs ("enfant") servant à boire à un Dionysos accompagné d'un Eros, oeuvres d'un certain Thymilos, pourtant décrit par Pausanias plus loin dans le sanctuaire de Dionysos et non attribué par lui à Praxitèle. Ce Satyre de la rue des trépieds, pourtant vu par Pausanias à Athènes au IIème siècle après J.C, est considéré par Peter Gerke comme la même oeuvre que le Satyre Périboétos décrit par Pline à Rome un siècle auparavant. Ajoutant à la confusion, ce Satyre de la rue des Trépieds a parfois été rapproché de la réplique du Satyre au repos de Munich sous prétexte que le masque figuré à ses pieds rappellerait la fonction chorégique de la statue primitive."

( Jean- Luc Martinez, Catalogue de l'exposition)

Réplique du Satyre au repos du Musée du Capitole, Rome

Stèle funéraire avec éphèbe et colombe, Marbre, Inv. 1821 : RO I A2, Rijskmuseum, Leyde

Réplique réduite du " Satyre au repos " de Lyon, Inv. 2001.0.325, Musée de la Civilisation Gallo-romaine, Lyon

Que dire enfin du style de Praxitèle?

"Praxitèle appartient à la génération qui renouvela la pondération en dépassant le contrapposto polyclétéen et en accentuant le hanchement de ses figures; il contribua à rajeunir les types divins, innovant en osant le nu pour Aphrodite ou la jeunesse d'Apollon; introduisant des éléments de paysage à ses compositions, il semble raconter une histoire en tentant timidement la perception de la troisième dimension. Mais ne sont-ce pas là des caractéristiques propres à tout ce mouvement que l'on a qualifié de classicisme car il respectait malgré tout le goût pour des contours clairs et les compositions privilégiant la vue de face? La fortune d'un artiste de l'Antiquité, faute de repère assuré, ne se réduit-elle pas à chercher les échos des différentes reconstitutions de son art que l'on a tentées au fil des siècles? Il y a en effet un vrai danger dans le raisonnement circulaire qui consiste à affirmer l'existence d'un type statuaire en en cherchant les échos. La "critique des copies" ne fait pas autre chose. Les répliques parvenues jusqu'à nous témoignent déjà d'un choix effectué à l'époque romaine dans l'oeuvre de Praxitèle. Quatre à six siècles après sa mort, on avait oublié sa contribution à l'art du portrait ou en matière de sculpture architecturale. Aussi, par la nature même de notre documentation, est-il parfois délicat de distinguer répliques et pastiches. (...) On a essayé de distinguer les "copies", qui reproduisent un original pour en être le substitut, les "répliques" ou "répétitions", qui sont contemporaines des oeuvres, et les "variantes", notion plus difficile et plus subjective, qui suppose des modifications, plus ou moins influencées par le style du temps du copiste, mais qui permettraient malgré tout de reconnaître un type statuaire." Jean-Luc Martinez Catalogue (pages 294-295)