Commentaire

Ce texte nous invite à comprendre les découvertes incessantes de l'archéologie, une archéologie en mouvement perpétuel, et les interprétations souvent corrigées qui en découlent...

"A la lumière des démarches successives esquissées dans les chapitres précédents, cette oeuvre en bronze découverte il y a moins de dix ans entre la Sicile et la Tunisie servira de dossier d'étude.
On y reconnaît aisément la figure d'un jeune Satyre de grande taille aux oreilles en pointe, le trou dans le bas du dos indiquant la place d'une queue. Le personnage semble danser dans la position adoptée par Pan et les satyres sur les céramiques attiques des Ve et IVe siècles avant J.-C. Les attributs manquants pourraient être un thyrse (long bâton où s'enroulent des feuilles de lierre ou de vigne, surmonté d'une pomme de pin) dans la main droite et un canthare dans la main gauche, une pardalide (peau de panthère) emportée par le mouvement de la danse pendant sur le bras gauche; cependant, les marques sur l'épaule droite, avec des restes de soudure, et les traces de réparations indiquant que dès l'Antiquité il y eut des modifications, permettraient d'imaginer que cette pardalide se trouvait donc sur le bras droit en contact avec l'épaule et avec le pied gauche. La question des attributs reste ouverte.
La plupart des spécialistes croient reconnaître une création romaine de la fin de l'époque hellénistique ou des débuts de l'Empire; d'autres y voient un original grec notamment le Satyre Periboetos de Praxitèle.
Une attribution à Praxitèle semble difficile; en revanche une datation du type statuaire d'origine de la fin du IVe siècle est plausible. Qu'en est-il de la technique de création de l'oeuvre elle-même? La composition chimique du bronze avec une teneur en plomb élevée inviterait à la dater de l'époque romaine. Elle pourrait reproduire une création plus ancienne des débuts de l'époque hellénistique."

Le Satyre de Mazara del Vallo, Bronze, Museo Sant'Egidio, Mazara del Vallo

Notons également que cet extrait peut être un élément intéressant pour comprendre ce que l'on a coutume de noter l'ekphrasis et l'importance que cette tradition a eue dans l'évolution de la critique d'art.

"Les ekphraseis se multiplient avec la seconde sophistique, au point de constituer, avec les Images des ou les Descriptions de un genre à soi seul. Avec les [ξένια] par exemple, ces critiques des natures mortes qu'un hôte envoie en présent à ses invités, où sont représentés les mets qu'ils ont pu déguster chez lui, c'est à trois degrés de distance qu'est repoussé le phénomène, devenu prétexte à la représentation littéraire d'une représentation picturale. Le qui n'est plus donné à l'immédiateté de la perception et qui n'a plus à faire l'objet d'une description adéquate, est tout au plus supposé ou produit au terme d'une procédure de "

"Les premières descriptions de peintures de l’époque moderne sont largement tributaires du modèle de l’ekphrasis. Même s’il introduit quelques notations techniques, Giorgio Vasari, dans ses Vies des meilleurs peintres, décrit toujours essentiellement les tableaux d’abord sous la forme de l’éloge, puis sous celle d’une narration du sujet. Philostrate est par ailleurs redécouvert en France, traduit par Blaise de Vigenère, et illustré dès la deuxième édition en 1614 , ce qui est à la fois l’indice d’un succès auprès du public, et la preuve que, pour les humanistes de la Renaissance, le support écrit de l’ekphrasis et le support visuel de la gravure sont transparents l’un par rapport à l’autre, puisqu’on peut sans scrupule restituer le tableau perdu, ou purement imaginé, d’après le seul texte de Philostrate. Félibien enfin, dans ses Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres (1ère édition en 1666), demeure très largement dans la lignée de Vasari: dès lors que le but de l’ouvrage est de sélectionner « les plus excellents peintres », c’est le meilleur de leur œuvre qui justifiera la sélection; il ne peut en être rendu compte que sous la forme de l’éloge, et les adjectifs laudatifs se multiplient sous sa plume. Pourtant, par rapport à son modèle italien, la forme du texte de Félibien a changé: le dialogue, même sous la forme policée, élégante et prudente d’un entretien au dialogisme atténué, suppose la pluralité des points de vue, donc le commencement d’une critique. Or c’est nécessairement sur la technique des peintres, donc sur le « faire », que cette critique pourra d’abord s’appuyer. Il ne s’agit là cependant que d’une évolution timide, dans un texte très anecdotique où la description des peintures occupe une place marginale. L’institution des Salons change radicalement la donne. Il ne s’agit plus de constituer un panthéon des peintres, un espace d’excellence virtuelle dont la légitimité n’est que symbolique, mais de rendre compte d’une exposition réelle, dans laquelle non seulement il y a de tout, œuvres sublimes et croûtes, mais où le lecteur, l’acheteur éventuel, attend d’être guidé dans son choix: la sélection des œuvres ne préexiste plus au texte; elle en constitue désormais la visée. Deux modèles s’affrontent donc pour rendre compte des peintures: l’ancien modèle, hérité de l’ekphrasis antique, conçoit la description des peintures comme une performance: le texte dit excellemment l’excellence de la peinture, excellence qui n’est pas tant technique, que symbolique. La peinture elle-même exprime parfaitement la plénitude des valeurs épiques, tragiques, héroïques portées par son sujet: le texte célébrant l’œuvre célèbre donc par elle les valeurs qu’elle a représentées. La performance de l’ekphrasis instaure en quelque sorte une circulation de l’excellence. Le nouveau modèle, imposé par les Salons, conçoit la description des peintures comme une discrimination: il fait le tri entre les œuvres exposées. Seul un jugement de goût peut légitimer ce tri: alors que la galerie des peintures qui font l’objet de l’ekphrasis se présente comme une galerie objectivement magnifique, la discrimination qu’opère le compte rendu, même appuyée sur l’évaluation technique du faire du peintre, est une discrimination nécessairement subjective. Elle ouvre ainsi, de façon inattendue, l’écriture à la sphère de l’intime."

Notons enfin que cet extrait nous révèle un nouvel aspect propre à comprendre ce que fut le style de Praxitèle:

" L'Apollon " tueur de lézard " est sans doute le type statuaire attribué à Praxitèle le mieux connu par les sources littéraires et numismatiques après l'Aphrodite de Cnide (une vingtaine de répliques romaines en marbre et en bronze). Son sujet singulier permet une identification et une attribution à Praxitèle assurées même si signification, fonction et localisation originelle nous restent inconnues. Pline écrit que Praxitèle a exécuté en bronze de très beaux ouvrages : " il a fait un Apollon dans l'âge de la puberté qui, une flèche à la main, guette un lézard rampant vers lui : on l'appelle le Sauroctone ". La figure masculine debout, nue, jeune est associée à un lézard grimpant sur un arbre. Fortement hanché, le buste basculant vers la gauche, le bras gauche dressé vers l'avant, Apollon s'appuie contre l'arbre tandis que son geste le fait pivoter. L'agencement de sa coiffure est très sophistiqué. Plusieurs controverses agitent la communauté scientifique: S'agit-il d'un adolescent (dans les propos de Pline) ou d'un enfant (selon Martial) ? D'autre part, deux types semblent se distinguer, l'un où l'Apollon est proche du tronc comme dans le modèle du Vatican, l'autre où il en est plus éloigné comme dans celui du Louvre: si l'on se base sur les monnaies, le type original serait celui du Louvre; en revanche, l'appui nécessaire à la stabilité de l'oeuvre désigne le modèle du Vatican proche du tronc comme le plus ancien. Si l'on confronte tous les types de l'Apollon Sauroctone, il en résulte que les auteurs des répliques ont peu à peu mêlé le type statuaire du Sauroctone avec ceux des Erotes (Eros) praxitéliens avec de nombreuses variantes dans la représentation du lézard lui-même, sans que prédomine un schéma particulier. Le contexte de la création est encore plus obscur: pour qui et pour où cette oeuvre fut-elle créée. L'origine des monnaies ne nous renseigne guère: sur celles d'Apollonia en Mysie, l'Apollon qui figure n'est pas un sauroctone; pour celles de Nicopolis, il faut savoir que la ville a été fondée beaucoup plus tard sous Trajan. L'iconographie même du tueur de lézard associée à Apollon n'est attestée dans aucun texte ce qui n'empêche pas les interprétations les plus fantaisistes. Le rajeunissement des types divins et l'ambiguïté sexuelle seraient caractéristiques de Praxitèle et de son temps. Cet Apollon serait l'écho masculin des recherches du maître athénien sur la nudité des corps comme l'est Cnide pour le type féminin, entre la fidélité au type polyclétéen du Satyre verseur vers 370 et la figure plus souple en appui de l'Hermès d'Olympie vers 340. Certains auteurs ont rejeté son attribution à Praxitèle et parlent même d'un pastiche d'oeuvre grecque créé pour la clientèle romaine du Ier siècle avant J.-C. par un certain Pasitélès. Cependant une telle création paraît possible au IVe siècle: des reliefs votifs attestent que les sculpteurs grecs étudiaient des attitudes équivalentes, intégrant des arbres dans leur composition; la vision privilégiée de face, le goût des contours clairs et la composition fermée… tout ceci rend plausible une attribution à Praxitèle.

" Le cas est bien plus complexe pour qui veut étudier l'influence de Praxitèle sur les nus masculins de ses contemporains et suiveurs. D'abord parce qu'à part l'Apollon Sauroctone, au corps alangui et un peu mou, aucune statue masculine n'est attribuée avec certitude à Praxitèle, l'Hermès, au torse bien plus puissant, étant lui-même considéré comme l'oeuvre d'un imitateur.

Apollon sauroctone, Marbre, Inv. Ma 441, Musée du Louvre

La difficulté s'accroît quand on observe que pour le traitement de l'anatomie au moins et la pose, accentuant le hanchement, le Sauroctone n'innove guère par rapport aux créations contemporaines.(...) Qu'ont-en commun ces Erotes si ce n'est d'appartenir à ce répertoire des jeunes éphèbes hanchés pour qui la référence à Praxitèle était à ce point assimilée par les sculpteurs postérieurs qu'ils en perdaient les références exactes. On ne peut également le confondre avec l'Eros de Callistrate, qui était en bronze et tenait l'arc de la main gauche. L'Eros Sauroctone montre mieux que les autres cette synthèse entre une forme empruntée à l'art de Praxitèle (le corps du Sauroctone) et son adaptation à un répertoire du maître sans que cette synthèse ne soit attribuable au sculpteur lui-même."(Jean-Luc Martinez Catalogue page 304 et suivantes )

Réplique du Vatican du type de " l'Apollon Sauroctone ", Inv. 750, Musées du Vatican