Commentaire

Nous vous proposons ici plusieurs pistes de réflexion que vous mènerez à votre guise...

a) Ce nouvel extrait impose une image de Créon particulière; face au garde qui lui présente Antigone prise en flagrant délit, il ne parvient pas à cacher sa surprise et l'on comprend déjà que la fille d'Oedipe se présente à ses yeux comme doublement coupable. Elle a osé braver l'interdit décrété par la puissance royale de Créon, elle a osé braver son oncle Créon... Celui-ci mène un premier interrogatoire; Antigone est présente sur scène, mais muette, les deux hommes dialoguent comme si elle n'était pas là; Sophocle retarde le vrai échange, la confrontation idéologique et passionnée entre Antigone et Créon, la préparant ainsi d'autant mieux.

Cet extrait doit être rapproché de la scène de l'Antigone d'Anouilh.

"(Les gardes viennent d'arrêter Antigone, surprise en train de recouvrir de terre le cadavre de Polynice; Créon s'approche d'eux.)

Le garde: On n'a rien dit, chef. Mais comme on a arrêté celle-là, on a pensé qu'il fallait qu'on vienne. Et cette fois on n'a pas tiré au sort. On a préféré venir tous les trois.

Créon: Imbéciles! (A Antigone) Où t'ont-ils arrêtée?

Le garde: Près du cadavre, chef.

Créon: Qu'allais-tu faire près du cadavre de ton frère? Tu savais que j'avais interdit de l'approcher.

Le garde: Ce qu'elle faisait, chef? C'est pour ça qu'on vous l'amène. Elle grattait la terre avec ses mains. Elle était en train de le recouvrir encore une fois.

Créon: Sais-tu bien ce que tu es en train de dire, toi?

Le garde: Chef, vous pouvez demander aux autres.(...)"

Vous pouvez ainsi confronter ces deux textes et étudier comment les deux auteurs mettent en scène l'incrédulité de Créon et préparent l'intervention d'Antigone: la petite délaissée, bousculée, réduite au silence va bientôt parler, d'une voix forte, puissante et sûre.

b) La réécriture d'Anouilh, fidèle et originale, -comme en témoigne ici cet extrait- peut vous inviter à vous interroger sur la mise en scène contemporaine d'Antigone. Comment peut-on mettre en scène aujourd'hui une pièce antique? Faut-il privilégier le jeu antique, avec le rôle dévolu au choeur, les passages chantés, les masques? Doit-on au contraire "adapter" aux conventions théâtrales qui sont les nôtres le texte du tragique grec? Comment peut-on servir le texte et permettre au spectateur de partir à sa rencontre? Nous proposons à votre réflexion plusieurs documents ou adresses...

Créon et le garde

Les gardes remettant Antigone à Créon

- Quel costume pour Antigone ?

- Une Antigone revisitée par l'Afrique ?

- le choix d'une lecture d'une Antigone rebelle, hors la loi

- "Le reste, décor, mise en scène, interprétation, est de belle tenue. Devant une superbe toile peinte – un horizon marin très noir, les vagues blanches tout près –, les acteurs, bien vêtus dans l'esprit du temps mais sans note trop appuyée, disent les mots célèbres, sous la conduite fer-velours de Marcel Bozonnet. Entre les épisodes, un danseur exécute des figures gymniques superbes. Certaines lignes du chœur sont enregistrées, l'effet est intéressant, d'autres sont dites par un coryphée vêtu d'un complet d'été clair et coiffé d'un panama dont il incline, d'un geste quelque peu voyou, le bord pendant la dernière réplique : c'est là l'“ acéré ” de la mise en scène, le clin-d'œil-coup d'éclat de ce superbe spectacle strict. " (Michel Cournot Le Monde, 13 février 1999)

- La compagnie Demodocos

"La cruelle tragédie de Sophocle, cette oeuvre grandiose sur les puissants de la cohabitation difficile entre l'ordre et les devoirs de la conscience, maintes fois mise en scène, s'invite à nouveau au festival. Une nouvelle fois peut-être, mais le travail proposé par la compagnie Demodocos possède des qualités inédites donnant à ce texte multiséculaire une résonance toute moderne. Nul ne pourra asséner au sortir du spectale le sempiternel hermétisme des Grecs ni regretter le lyrisme soi-disant inaccessible au spectateur contemporain. Les efforts fournis par les acteurs et la mise en scène, conjugués à une esthétique surprenante, donnent à l'audience toutes les clés pour accéder au sublime de la tragédie. G. D.LA PROVENCE - Dimanche 16 juillet 2006 "

"L'esthétique des masques antiques :
La compagnie Démodocos exhume le rituel de la représentation théâtrale antique. Une atmosphère d’un autre âge envoûte le spectateur dès son entrée en salle. Disposés en demi-cercle, six piliers sculptés, surmontés de masques d’une splendeur effrayante, ponctuent l’espace nu. Au sol, les comédiens, grimés, semblent se concentrer, se recueillir, exercer leur respiration par un chant aux consonances étranges. (...) L’envoûtement vécu par le spectateur tient aussi à la beauté pénétrante de la traduction de Philippe Brunet qui n’abandonne pas pour autant la force incantatoire originelle du texte grec ; celui-ci ressurgit dans la pureté de sonorités dont les consonances nous semblent aujourd’hui hermétiques mais que le chant modulé du chœur, mêlé aux acteurs, rend intelligible autant que sensible. La représentation inclut en effet de la musique (l’aulos notamment), du chant (travail exceptionnel sur le rythme, le volume, le débit et la scansion en renouant par exemple avec le « pnigos ») et des danses (gestuelle rituelle, postures, martèlement des pieds au rythme des percussions)."Bérénice FANTINI

"L’Antigone d’Henry Bauchau crée son propre rituel au fil de son voyage ; elle est un corps avant tout, qui se laisse traverser par les événements, son corps accepte ce qui lui arrive avant de pouvoir le nommer. Elle crée sa propre danse. Antigone danse.
Les mots d’Henry Bauchau vont au-delà de leurs apparences et c’est cet au-delà que je vais tenter de rendre visible sur visible. " Katy Deville

 

Ce ne sont là que quelques exemples des nombreuses et constantes mises en scène d'Antigone que vous pouvez enrichir et compléter par vos propres souvenirs ou expériences: puissiez-vous y trouver matière à nourrir votre questionnement sur la modernité inégalée d'une tragédie écrite il y a 25 siècles...