COMMENTAIRE

 

Cet extrait décrit la scène violente qui voit l'affrontement entre deux hommes, l'un redoutable à la guerre, l'autre chef des armées. Tout les affronte , tout marque entre eux rivalité et lutte .Chryséis, Briséis sont ici prétextes et l'emploi répété du mot " γέρας" en est bien la preuve...même si Achille évoquera la douce tendresse qu'il éprouve pour sa captive...

Il peut être pertinent à l'occasion de ce texte de revoir l'origine d'Achille, fils de Thétis, et celle d'Agamemnon, chef achéen,ce qui donne à l'un une force quasi invincible et à l'autre le pouvoir et l'autorité sur l'armée grecque.

Ce texte initial dans L'Iliade est aussi un moyen de réfléchir à la définition traditionnelle que prend le mot héros: on se souvient qu'au départ c'est, dans l'Antiquité Grecque, un demi-dieu (Achille), puis par extension un personnage légendaire auquel on prête d'extraordinaires exploits, manifestant à un degré supérieur un certain nombre de vertus et par conséquent devant exemplaire. Nous avons alors une forte idéalisation, une stylisation voire une mythification. qui permettent au héros de jouer un rôle de ciment dans une collectivité : il manifeste et incarne des valeurs dans lesquelles une collectivité entière peut se reconnaître et se projeter . Mais nous pouvons aussi nous demander ce que l'aède semble donner comme sens à l'héroïsme: héros capable de colère, d'aveuglement, de jalousie, d'égoïsme...menant une guerre barbare pour la recherche d'une gloire personnelle et par appât du gain...Quelle image Homère nous donne-t-il ici des héros que la littérature n'a de cesse de chanter? Le héros épique cultive les valeurs martiales, poursuit l'honneur et la gloire capables de lui accorder l'estime de soi.Ecrasé par le destin, condamné à ce déterminisme qui le soumet , il parvient à nous montrer que même mortel et déterminé l'homme trouve sa dignité en consentant à son destin, en assumant sa condition mortelle et en apprenant à être Homme.

Le Lorrain, Ulysse remet Chryséis à son père


Peut-on lire aussi qu'Achille devra "apprendre", au prix de la souffrance et du deuil, à écouter , à partager et à pardonner, comme Agamemnon qui devra lui-aussi mesurer la gravité pour la collectivité d'actes pris au nom d'une satisfaction d'orgueil personnel? Le héros au début de L'Iliade est lui aussi en "phase d'apprentissage", quel que soit le rang qu'il occupe, et l'Iliade à cet égard peut être aussi lue comme le récit d'une guerre sur soi autant que sur l'autre... Nous retrouvons là Simone Weil,qui affirme dans La source grecque:

"Le vrai héros, le vrai sujet, le centre de l'Iliade, c'est la force. La force qui est maniée par les hommes, la force qui soumet les hommes, la force devant quoi la chair des hommes se rétracte."

mais il ne faut jamais oublier que cette force barbare est toujours condamnée par le poète et n'a de sens que si elle permet à l'homme d'exprimer la force de son âme, qui apparaît alors parfois comme refus de la force physique: Hector mourra pour avoir cédé à cette ὗβρις, Achille laissera repartir Priam et lui accordera le corps de son fils, Hector...

"L'héroïsme est donc, de toutes les qualités de l'âme, celle dont il importe le plus aux peuples que ceux qui les gouvernent soient revêtus. C'est la collection d'un grand nombre de vertus sublimes, rares dans leur assemblage, plus rares dans leur énergie, et d'autant plus rares encore que l'héroïsme qu'elles constituent, détaché de tout intérêt personnel, n'a pour objet que la félicité des autres et pour prix que leur admiration."
J.J. Rousseau, Discours sur la vertu du héros.

L'action par laquelle un homme cherche à justifier sur le champ de bataille sa réputation de bravoure, et dans laquelle il finit par laisser sa vie, est rapportée sans doute d'un côté au devoir et, d'un autre côté, considérée essentiellement comme méritoire, mais notre estime pour cette action est considérablement diminuée par le concept de l’amour de soi, qui semble ici être le premier mobile. Plus décisif est le sacrifice magnanime de sa vie au salut de la patrie : nous donnons alors tout notre respect à celui qui cherche à l'accomplir en sacrifiant tout ce qui peut avoir quelque valeur pour nos penchants les plus intimes ; nous trouvons notre âme fortifiée et élevée par un tel exemple, puisque nous pouvons être convaincus par là que la nature humaine est capable de s'élever, à une si grande hauteur, au-dessus de tous les mobiles que peut lui opposer la nature.
E. Kant