Quel sens à ce passage ?

Après une introduction dialoguée qui présente les interlocuteurs, le Timée comprend trois sections. La première est celle plus connue du mythe de l'Atlantide, tandis que les deux autres prennent pour objet la formation du monde puis celle de l'âme et du corps de l'homme. Notre passage est issu de cette troisième partie. Quelle est l'unité du propos tenu dans Le Timée ?

Socrate s'est demandé si l'Etat qu'il a décrit, par exemple dans la République, pouvait correspondre à quelque chose de réel. C'est à cette première interrogation que correspond la réponse faite par Critias à propos de l'évocation de la cité perdue de l'Atlantide. "En terminant, Critias se déclarait prêt à compléter son récit et à montrer en détail que la cité idéale de Socrate avait réellement existé au temps des Atlantes. Mais l'exposition de Critias est remise à plus tard. Auparavant, Timée, le plus savant d'entre eux en astronomie, va exposer la formation de l'univers, puis celle de l'homme. (...) Avant d'aborder le problème politique et social, Platon a tenu à montrer la place que l'homme tient dans l'univers et ce qu'est l'univers lui-même ; car l'homme est un univers en réduction, un microcosme assujetti aux mêmes lois que le macrocosme.

La base du système que Timée va exposer est la théorie des Idées. Il faut d'abord, dit Timée, se poser cette double question : en quoi consiste ce qui existe toujours, et ce qui devient toujours et n'est jamais ? Ce qui existe toujours, ce sont les Idées, appréhensibles à l'intelligence, et ce qui devient toujours est l'univers, qui ne peut être connu que par conjecture. Aussi n'y-a-t-il pas de science de la nature. On n'en peut donner que des explications plus ou moins vraisemblables. "(E. Chambry)

De là l'exposé de Timée sur les quatre éléments, le feu, la terre, l'eau et l'air, constitutifs du monde, sur la forme sphérique du monde, la forme la plus parfaite de tous, sur les quatre espèces d'êtres vivants : la race céleste des dieux, la race ailée, la race aquatique, et celle des animaux qui marchent. Cette explication cosmique de la création du monde suppose néanmoins une dimension supplémentaire.

"Le démiurge étant par principe bon et sans envie a voulu que toutes les choses fussent autant que possible semblables à lui-même, c'est à dire bonnes. (...) Jusqu'ici nous n'avons considéré dans la formation du monde que l'action de l'intelligence : il faut ajouter celle de la nécessité ; car la génération de ce monde est le résultat de l'action combinée de la nécessité et de l'intelligence. Reprenons donc notre explication. Nous avons jusqu'à présent distingué le modèle intelligible, et toujours le même, et la copie visible et soumise au devenir. Il faut ajouter une troisième espèce, qui est comme le réceptacle et la nourrice de tout ce qui naît. Les quatre éléments se changent sans cesse l'un dans l'autre ; mais ce en quoi chacun d'eux naît et apparaît successivement pour s'évanouir ensuite, c'est quelque chose qui demeure identique, une forme invisible qui reçoit toutes choses, sans revêtir elle-même une seule forme semblable à celles qui entrent en elles, et qui participe de l'intelligible d'une manière fort obscure, saisissable seulement par une sorte de raison bâtarde. On peut l'appeler le lieu. Avant la formation du monde, tous les éléments étaient secoués au hasard, mais occupaient déjà des places différentes. Dieu commença par leur donner une configuration distincte au moyen des idées et des nombres." (E. Chambry)

Pour Timée, il ne fait aucun doute que ces quatre éléments sont des corps. Or les corps ont pour éléments des triangles d'une infinie petitesse, scalènes ou isocèles, qui en se combinant entre eux engendrent des solides spécifiques. A cause du mouvement circulaire de l'univers, ces éléments ne cessent de se mouvoir et se traverser les uns les autres. Chaque corps est alors comprimé sans qu'il soit possible d'imaginer un espace vide , "et cette compression pousse les petits corps dans les intervalles les plus grands et fait que les plus grands forcent les petits à se combiner, et ainsi tous se déplacent pour gagner la place qui leur convient."(E. Chambry)

L'univers étant expliqué dans ses fonctionnements mêmes, l'homme peut alors être étudié selon le même schéma de pensée. Le passage qui nous intéresse s'intègre dans l'exposé consacré à l'explication du phénomène de la respiration. Il est important de remarquer que la comparaison qui donne sens est empruntée au macrocosme : le cours du sang, la chute de la foudre, l'attraction de l'aimant sont les manifestations d'un seul et même mouvement, qui se répète dans l'homme comme dans l'univers lui-même. Nous conclurons en ajoutant que si les propositions initiales peuvent avoir une force argumentative, il n'en est pas de même pour l'explication proposée au phénomène de la respiration : Platon confond ici les voies respiratoires, les voies sanguines et les voies digestives imaginant un treillis qui traverse le corps humain de façon fort embrouillée, ce qui lui sera d'ailleurs reproché par les disciples d'Hippocrate.

Dans ce passage Timée fait une allusion à la pierre d'Héraclée, célèbre dans l'antiquité. Cette pierre possède le pouvoir de magnétiser les objets métalliques et frappait ainsi largement l'imagination. Il s'en trouvoit beaucoup près de la ville d'Héraclée en Lydie. On se servait de cette pierre noire, fort dure pour s'assurer entre autres de la pureté de l'or. L'attraction de la pierre est ici niée en tant que telle et les mouvements observés sont compris comme des preuves mêmes de l'inexistence du vide : le lieu est l'espace où chaque corps évolue selon les lois du mouvement circulaire qui caractérise l'univers le remplissant totalement.

Les doctrines platoniciennes (largement nourries d'idées pythagoriciennes) contenues dans le Timée, saisies et commentées plus tard par les philosophes néoplatoniciens, ont partout pénétré dans les sciences physiques, et particulièrement dans la chimie, telle du moins qu'elle était cultivée durant les premiers siècles de l'ère chrétienne, et presque pendant tout le Moyen Âge.