Deux autres extraits des Principes

"Il n’y a donc qu’une même matière en tout l’univers, et nous la connaissons par cela seul qu’elle est étendue ; pour ce que toutes les propriétés que nous apercevons distinctement en elle, se rapportent à ce qu’elle peut être divisée et mue selon ses parties, et qu’elle peut recevoir toutes les diverses dispositions que nous remarquons pouvoir arriver par le mouvement de ses parties. Car, encore que nous puissions feindre, de la pensée, des divisions en cette matière, néanmoins il est constant que notre pensée n’a pas le pouvoir d’y rien changer, et que toute la diversité des formes qui s’y rencontrent dépend du mouvement local. Ce que les philosophes ont sans doute remarqué, d’autant qu’ils ont dit, en beaucoup d’endroits, que la nature est le principe du mouvement et du repos, et qu’ils entendaient, par la nature, ce qui fait que les corps se disposent ainsi que nous voyons par expérience."

"Ce que c'est que l'espace ou le lieu intérieur.

L'espace ou le lieu intérieur, et le corps qui est compris en cet espace, ne sont différents [...] que par notre pensée. Car, en effet, la même étendue en longueur, largeur et profondeur qui constitue l'espace constitue le corps, et la différence qui est entre eux ne consiste qu'en ce que nous attribuons au corps une étendue particulière, que nous concevons changer de place avec lui toutes les fois et quantes qu'il est transporté, et que nous en attribuons à l'espace une si générale et si vague qu'après avoir ôté d'un certain espace le corps qui l'occupait nous ne pensons pas avoir aussi transporté l'étendue de cet espace, à cause qu'il nous semble que la même étendue demeure toujours pendant qu'il est de même grandeur et de même figure, et qu'il n'a point changé de situation au regard des corps de dehors par lesquels nous le déterminons.

En quel sens on peut dire qu'il n'est point différent du corps qu'il contient.

Mais il sera aisé de connaître que la même étendue qui constitue la nature du corps constitue aussi la nature de l'espace, en sorte qu'ils ne diffèrent entre eux que comme la nature du genre ou de l'espèce diffère de la nature de l'individu, si, pour mieux discerner quelle est la véritable idée que nous avons du corps, nous prenons par exemple une pierre et en ôtons tout ce que nous saurons ne point appartenir à la nature du corps. Otons-en donc premièrement la dureté, parce que, si on réduisait cette pierre en poudre, elle n'aurait plus de dureté, et ne laisserait pas pour cela d'être un corps ; ôtons-en aussi la couleur, parce que nous avons pu voir quelquefois des pierres si transparentes qu'elles n'avaient point de couleur ; ôtons-en la pesanteur, parce que nous voyons que le feu, quoiqu'il soit très léger, ne laisse pas d'être un corps ; ôtons-en le froid, la chaleur, et toutes les autres qualités de ce genre, parce que nous ne pensons point qu'elles soient dans la pierre, ou bien que cette pierre change de nature parce qu'elle nous semble tantôt chaude et tantôt froide. Après avoir ainsi examiné cette pierre nous trouverons que la véritable idée qui nous fait concevoir qu'elle est un corps consiste en cela seul que nous apercevons distinctement qu'elle est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur ; or, cela même est compris en l'idée que nous avons de l'espace, non seulement de celui qui est plein de corps, mais encore de celui qu'on appelle vide. "