Texte 1 : Lucrèce De Rerum Natura (I)

Il y a du vide, Memmius ; et c'est une vérité qu'il te sera souvent utile de connaître, car elle t'empêchera de flotter dans le doute, d'être toujours en quête de la nature des choses, et de n'avoir pas foi dans mes paroles. Il existe donc un espace sans matière, qui échappe au toucher, et qu'on nomme le vide. Si le vide n'existait pas, le mouvement serait impossible ; car, comme le propre des corps est de résister, ils se feraient continuellement obstacle, de sorte que nul ne pourrait avancer, puisque nul autre ne commencerait par lui céder la place. Cependant, sur la terre et dans l'onde, et dans les hauteurs du ciel, on voit mille corps se mouvoir de mille façons et par mille causes diverses ; au lieu que, sans le vide, non seulement ils seraient privés du mouvement qui les agite, mais ils n'auraient pas même pu être créés, parce que la matière, formant une masse compacte, eût demeuré dans un repos stérile.

Texte 2 : Descartes Principia Philosophiae (16)

Pour ce qui est du vide, au sens où les philosophes prennent ce mot, à savoir pour un espace où il n'y a point de substance, il est évident qu'il n'y a point d'espace en l'univers qui soit tel, parce que l'extension de l'espace, ou du lieu intérieur n'est point différente de l'extension du corps. Et comme de cela seul qu'un corps est étendu en longueur, largeur et profondeur, nous avons raison de conclure qu'il est une substance,à cause que nous concevons qu'il n'est pas possible que ce qui n'est rien ait de l'extension, nous devons conclure de même pour l'espace qu'on suppose vide, à savoir que puisqu'il y a en lui de l'extension, il y a nécessairement aussi de la substance.

Le mot de vide pris selon l'usage ordinaire n'exclut point toute sorte de corps. Mais lorsque nous prenons ce mot selon l'usage ordinaire, et que nous disons qu'un lieu est vide, il est constant que nous ne voulons pas dire qu'il n'y a rien du tout en ce lieu et en cet espace, mais seulement qu'il n'y a rien de ce que nous présumons y devoir être. Ainsi parce qu'une cruche est faite pour tenir de l'eau, nous disons qu'elle est vide quand elle ne contient que de l'air ; et s'il n'y a point de poisson dans un vivier, nous disons qu'il n'y a rien dedans quoiqu'il soit plein d'eau ; ainsi nous disons qu'un vaisseau est vide, lorsqu'au lieu des marchandises dont on le charge d'ordinaire, on ne l'a chargé que de sable afin qu'il pût résister à l'impétuosité du vent ; et c'est en ce même sens que nous disons qu'un espace est vide lorsqu'il ne contient rien qui nous soit sensible, encore qu'il contienne une matière créée et une substance étendue. Car nous ne considérons ordinairement les corps qui sont proches de nous qu'en tant qu'ils causent dans les organes de nos sens des impressions si fortes que nous les pouvons sentir. Et, si au lieu de nous souvenir de ce que nous devons entendre par ces mots de vide ou de rien, nous pensions par après qu'un tel espace où nos sens ne nous font rien apercevoir ne contient aucune chose créée, nous tomberions en une erreur aussi grossière que si, à cause qu'on dit ordinairement qu'une cruche est vide dans laquelle il n'y a que de l'air, nous jugions que l'air qu'elle contient n'est pas une chose ou une substance.

Texte 3 : Benedictus de Spinoza Tractatus de intellectus emendatione

C'est ici le lieu de considérer les choses que nous appelons d'ordinaire des fictions, bien que nous comprenions clairement qu'elles n'existent pas de la façon dont nous les imaginons. Par exemple, je sais que la terre est ronde ; mais rien ne m'empêche de dire à quelqu'un que la terre est la moitié d'un globe, et qu'elle ressemble à la moitié d'une pomme sur une assiette ; ou bien que le soleil tourne autour de la terre, et autres choses semblables. (...) . Lors donc que je dis à quelqu'un que la terre n'est pas ronde, etc., je ne fais autre chose que rappeler en ma mémoire une erreur qui a peut-être été la mienne, ou dans laquelle j'ai pu tomber, et feindre ensuite ou penser que celui à qui je parle est encore ou peut tomber dans la même erreur. Je puis feindre cela, comme je l'ai dit, tant que je n'aperçois ni impossibilité ni nécessité ; si je voyais clairement l'une ou l'autre, je ne pourrais rien feindre, et il faudrait dire simplement que je me suis efforcé de feindre quelque chose.

Texte 4 :Newton Philosophiae naturalis Principia Mathematica Definitiones

Le lieu est la partie de l’espace occupée par un corps et par rapport à l’espace, il est ou relatif ou absolu.
Je dis que le lieu est une partie de l’espace et non pas simplement la situation du corps, ou la superficie qui l’entoure : car les solides égaux ont toujours des lieux égaux, quoique leurs superficies soient souvent inégales, à cause de la dissemblance de leurs formes ; les situations, à parler exactement, n’ont point de quantité, ce sont plutôt des affections des lieux, que des lieux proprement dits.
De même que le mouvement ou la translation du tout hors de son lieu est la somme des mouvements ou des translations des parties hors du leur, ainsi le lieu du tout est la somme des lieux de toutes les parties et ce lieu doit être interne et être dans tout le corps entier.

Textes complémentaires

Lucrèce De Rerum Natura

Si un flocon de laine contient autant de matière que le plomb, il doit peser également sur la balance, puisque le propre des corps est de tout précipiter en bas. Le vide seul manque, par sa nature même, de pesanteur. Aussi, lorsque deux corps sont de grandeur égale, le plus léger annonce qu'il y a en lui plus de vide ; le plus pesant, au contraire, accuse une substance plus compacte et plus riche. La matière renferme donc évidemment ce que j'essaye d'expliquer à l'aide de la raison, et que je nomme le vide.

Descartes Principia Philosophiae

Comment on peut corriger la fausse opinion dont on est préoccupé touchant le vide.

Nous avons été presque tous préoccupés de cette erreur dès le commencement de notre vie, parce que voyant qu'il n'y a point de liaison nécessaire entre le vase et le corps qu'il contient, il nous a semblé que Dieu pourrait ôter tout le corps qui est contenu dans un vase et conserver ce vase dans le même état sans qu'il fût besoin qu'aucun autre corps succédât en la place de celui qu'il aurait ôté. Mais afin que nous puissions maintenant corriger une si fausse opinion, nous remarquerons qu'il n'y a point de liaison nécessaire entre le vase et un tel corps qui le remplit, mais qu'elle est si absolument nécessaire entre la figure concave qu'a ce vase et l'étendue qui doit être comprise en cette concavité.

Benedictus de Spinoza Tractatus de intellectus emendatione

Nous avons donc établi une distinction entre les idées vraies et les autres perceptions, et nous avons montré que les idées fictives, fausses et autres semblables ont leur origine dans l'imagination, c'est-à-dire dans certaines sensations fortuites, pour ainsi parler, et sans liaison, qui ne viennent pas de la puissance même de l'âme, mais de causes externes, selon que le corps, dans le rêve ou dans la veille, reçoit divers mouvements.

Polignac L’Anti- Lucrèce

Je ne serai point auteur d’un système, s’écrie Newton. J’avoue qu’il n’est point auteur : il n’a fait que lier ensemble d’anciennes hypothèses. Il tient d’Aristote cette qualité occulte qu’il regarde comme le mobile universel et ces aveugles sentiments qu’il prête aux corps. Il doit le vide à Epicure. De ces fictions tirées des Grecs, il a su par une espèce de prodige former un tout qui lui appartient et c’est en leur faveur qu’il se déclare ennemi de Descartes, d’un philosophe qui voulait que tout obéit aux lois de la mécanique, que tout fut l’effet produit par une impulsion produite par l’intelligence.