Traduction

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Ainsi donc, Glaucon, quand tu rencontreras des panégyristes d'Homère, disant que ce poète a fait l'éducation de la Grèce, et que pour administrer les affaires humaines ou en enseigner le maniement il est juste de le prendre en main, de l'étudier, et de vivre en réglant d'après lui toute son existence, tu dois certes les saluer et les accueillir amicalement, comme des hommes qui sont aussi vertueux que possible, et leur accorder qu'Homère est le prince de la poésie et le premier des poètes tragiques, mais savoir aussi qu'en fait de poésie il ne faut admettre dans la cité que les hymnes en l'honneur des dieux et les éloges des gens de bien. Si, au contraire, tu admets la Muse voluptueuse, le plaisir et la douleur seront les rois de ta cité, à la place de la loi et de ce principe que, d'un commun accord, on a toujours regardé comme le meilleur, la raison.

C'est très vrai.

Que cela donc soit dit pour nous justifier, puisque nous en sommes venus à reparler de la poésie, d'avoir banni de notre État un art de cette nature : la raison nous le prescrivait. Et disons-lui encore, afin qu'elle ne nous accuse point de dureté et de rusticité, que la dissidence est ancienne entre la philosophie et la poésie. Témoins les traits que voici : « la chienne hargneuse qui aboie contre son maître», « celui qui passe pour un grand homme dans les vains bavardages des fous », « la troupe des têtes trop sages», « les gens qui se tourmentent à subtiliser parce qu'ils sont dans la misère et mille autres qui marquent leur vieille opposition. Déclarons néanmoins que si la poésie imitative peut nous prouver par de bonnes raisons qu'elle a sa place dans une cité bien policée, nous l'y recevrons avec joie, car nous avons conscience du charme qu'elle exerce sur nous - mais il serait impie de trahir ce qu'on regarde comme la vérité. Autrement, mon ami, ne te charme-t-elle pas toi aussi, surtout quand tu la vois à travers Homère?

Beaucoup.

Il est donc juste qu'elle puisse rentrer à cette condition : après qu'elle se sera justifiée, soit dans une ode, soit en des vers de tout autre mètre ?

Sans doute.

Nous permettrons même à ses défenseurs qui ne sont point poètes, mais qui aiment la poésie, de parler pour elle en prose, et de nous montrer qu'elle n'est pas seulement agréable, mais encore utile au gouvernement des États et à la vie humaine ; et nous les écouterons avec bienveillance, car ce sera profit pour nous si elle se révèle aussi utile qu'agréable.

Certainement, dit-il, nous y gagnerons.