Traduction

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Mon homme répondra : « Quoi donc ! Phidias, à ton avis, n’avait nulle idée de ce beau dont tu parles ? » Pourquoi ? lui dirai-je. « C’est, continuera-t-il, parce qu’il n’a point fait d’or les yeux de son Athéna, ni son visage, ni ses pieds, ni ses mains, bien que tout cela en or dut paraître très beau, mais d’ivoire. Il est évident qu’il n’a fait cette faute que par ignorance, ne sachant pas que c’est l’or qui embellit toutes les choses auxquelles on l’ajoute. » Lorsqu’il nous parlera de la sorte, que lui répondrons-nous, Hippias ?

(Hippias) Cela n’est pas difficile. Nous lui dirons que Phidias a bien fait, car l’ivoire est beau aussi, je pense.

(Socrate) « Pourquoi donc, répliquera-t-il, Phidias n’a-t-il pas fait de même les pupilles en ivoire, mais dans une pierre précieuse, après avoir cherché celle qui va le mieux avec l’ivoire ? Est-ce qu’un beau marbre est aussi une belle chose ? » Le dirons-nous, Hippias ?

(Hippias) Oui, lorsqu’il convient.

(Socrate) Et lorsqu’il ne convient pas, accorderai-je ou non qu’il est laid ?

(Hippias) Accorde-le, lorsqu’il ne convient pas.

(Socrate) « Mais quoi ! me dira-t-il, ô habile homme que tu es ! L’ivoire et l’or n’enlaidissent-ils point celles auxquelles ils ne conviennent pas ? » Nierons-nous qu’il ait raison, ou l’avouerons-nous ?

(Hippias) Nous avouerons que ce qui convient à chaque chose la fait belle.

(Socrate) « Quand on fait bouillir, dira-t-il, cette belle marmite, dont nous parlions tout à l’heure, pleine d’une belle purée de légumes, quelle cuillère convient à cette marmite ? une d’or, ou de bois de figuier ? »

(Hippias) Par Héraclès ! quelle espèce d’homme est-ce donc là, Socrate ? Ne veux-tu pas me dire qui c’est ?

(Socrate) Quand je te dirais son nom, tu ne le connaîtrais pas.

(Hippias) Je sais du moins dès à présent que c’est un homme sans éducation.

(Socrate) C’est un questionneur insupportable, Hippias. Que lui répondrons-nous, cependant, et laquelle de ces deux cuillères dirons-nous qui convient mieux à la purée et à la marmite ? N’est-il pas évident que c’est celle de figuier ? Car elle donne une meilleure odeur à la purée ; d’ailleurs, mon cher, il n’est point à craindre qu’elle casse la marmite, que la purée se répande, que le feu s’éteigne, et que les convives soient privés d’un excellent mets : accidents auxquels la cuillère d’or nous exposerait ; en sorte que nous devons dire, selon moi, que la cuillère de figuier convient mieux que celle d’or, à moins que tu ne sois d’un autre avis.

(Hippias) Elle convient mieux en effet, Socrate. Je t’avouerai pourtant que je ne daignerais pas répondre à un homme qui me ferait de pareilles questions.

(Socrate) Tu aurais raison, mon cher ami. Il ne te conviendrait pas d’entendre des termes aussi bas, richement vêtu comme tu es, chaussé élégamment, et renommé chez les Grecs pour ta sagesse ; mais pour moi, je ne risque rien à converser avec ce grossier personnage. Instruis-moi donc auparavant, et réponds, pour l’amour de moi. « Si la cuillère de figuier, dira-t-il, convient mieux que celle d’or, n’est-il pas vrai qu’elle est plus belle, puisque tu es convenu, Socrate, que ce qui convient est plus beau que ce qui ne convient pas ? » Avouerons-nous, Hippias, que la cuillère de figuier est plus belle que celle d’or ?

(Hippias) Veux-tu, Socrate, que je t’apprenne une définition du beau, avec laquelle tu couperas court à toutes les questions de cet homme ?