A partir des extraits suivants, dégagez les grandes lignes de l'histoire de Médée, ce qui en fait l'originalité et en explique la célébrité ( cf.bibliographie).

Médée Euripide

[1] Scène I
NOURRICE
Non ! Le vaisseau Argo n'aurait pas dû traverser l'azur sombre des Symplégades pour gagner la Colchide ! Non ! Dans les vallons boisés du Pélion, des pins n'auraient pas dû tomber sous la hache! Non ! Des hommes d'exception n'auraient pas dû prendre les rames, eux qui pour Pélias étaient partis à la quête de la Toison d'Or ! ... Non ! Car alors Médée, - Médée, c'est ma maîtresse - n'aurait embarqué vers la citadelle d'Iôlcos, avec son coeur terrassé par l'amour de Jason . Non ! Elle n'aurait pas poussé les filles de Pélias à tuer leur père. Non ! Elle ne vivrait pas ici dans la terre de Corinthe avec son mari et leurs petits. Elle s'était fait bien accueillir par les citoyens de ce pays où, fugitive, elle avait abordé . D'elle-même, elle vivait en parfait accord avec Jason. Qu'une femme ne soit pas en dispute avec son mari, c'est bien ce qu'il y a de plus rassurant...Or voilà que maintenant, tout se retourne contre elle. Ce qu'elle a de plus cher la rend malade . Car lui, il a trahi ses petits - oui les siens- et ma maîtresse. Oui, Jason s'est marié pour partager une couche royale.Il a épousé la fille de Créon, le maître de ce pays !...

Médée Sénèque ( vers 910- 953)

"Maintenant, je suis Médée mon génie s'est développé dans le crime. Je me réjouis, oui, je me réjouis d'avoir décapité mon frère ; je m'applaudis d'avoir mis son corps en pièces, et dépouillé mon père de son mystérieux trésor. Je m'applaudis d'avoir armé les mains des fils de Pélias contre les jours de leur vieux père. Cherche le but que tu veux frapper, ô ma vengeance : il n'est plus de crime que ma main ne puisse exécuter. Où vas-tu adresser tes coups ? et de quels traits veux-tu accabler ton-perfide ennemi ? J'ai formé dans mon coeur je ne sais quelle résolution barbare que je n'ose encore m'avouer à moi-même. Imprudente, je me suis trop hâtée. Plût au ciel que mon parjure époux eût quelques enfants de ma rivale ! Mais ceux que tu as de lui, suppose qu'ils sont nés de Créuse. J'aime cette vengeance, et c'est avec raison que je l'aime : car c'est le crime qui doit couronner tous mes crimes. Médée, prépare-toi. Enfants, qui fûtes autrefois les miens, c'est à vous d'expier les forfaits de votre père. Mais je frémis ; mon sang se glace dans mes veines, et mon cœur se trouble. Ma colère s'est évanouie, et la vengeance de l'épouse a fait place à toutes les affections de la mère. Quoi ! je répandrais le sang de mes fils, des enfants que j'ai mis au monde ? C'en est trop, ô délire ! ô vertige ! ce forfait inouï, ce meurtre abominable, je ne veux pas le commettre. Qu'ont-ils fait ces malheureux enfants ? Leur crime, c'est d'avoir Jason pour père, et surtout Médée pour mère. Qu'ils meurent, car ils ne sont pas à moi ; qu'ils périssent, car ils sont à moi. Ils ne sont coupables d'aucun crime, d'aucune faute ; ils sont innocents, je l'avoue --- mon frère aussi était innocent ! Médée, pourquoi balancer ? Pourquoi ces pleurs qui coulent de tes yeux ? Pourquoi ce combat de l'amour et de la haine qui déchire ton coeur et le partage dans un flux et reflux de sentiments contraires ? Quand des vents furieux se font une guerre cruelle, les flots émus se soulèvent les uns contre les autres, et la mer bouillonne sous leurs efforts. C'est ainsi que mon coeur flotte irrésolu : la colère chasse l'amour, et l'amour la colère. Cède à la tendresse maternelle, ô ma vengeance. Venez, chers enfants, seuls appuis d'une famille déplorable, accourez, entrelacez vos bras autour de mon sein. Vivez pour votre père, pourvu que vous viviez aussi pour votre mère. Mais la fuite et l'exil m'attendent. Bientôt on va les arracher de mes bras, pleurants et gémissants. Ils sont perdus pour leur mère ; que la mort les dérobe aussi aux embrassements paternels. Mon courroux se rallume, et la haine reprend le dessus. Érinnys qui a toujours conduit mes mains les réclame pour un nouveau crime. La vengeance m'appelle : j'obéis. "

Médée Corneille ( acte I, scène 4)

Médée

Souverains protecteurs des lois de l'hyménée,

Dieux garants de la foi que Jason m'a donnée,

Vous qu'il prit à témoin d'une immortelle ardeur

Quand par un faux serment il vainquit ma pudeur,

Voyez de quel mépris vous traite son parjure,

Et m'aidez à venger cette commune injure :

S'il me peut aujourd'hui chasser impunément,

Vous êtes sans pouvoir ou sans ressentiment.

Et vous, troupe savante en noires barbaries,

Filles de l'Achéron, pestes, larves, Furies,

Fières sœurs, si jamais notre commerce étroit

Sur vous et vos serpents me donna quelque droit,

Sortez de vos cachots avec les mêmes flammes

Et les mêmes tourments dont vous gênez les âmes ;

Laissez-les quelque temps reposer dans leurs fers ;

Pour mieux agir pour moi faites trêve aux enfers.

Apportez-moi du fond des antres de Mégère

La mort de ma rivale, et celle de son père,

Et si vous ne voulez mal servir mon courroux,

Quelque chose de pis pour mon perfide époux :

Qu'il coure vagabond de province en province,

Qu'il fasse lâchement la cour à chaque prince ;

Banni de tous côtés, sans bien et sans appui,

Accablé de frayeur, de misère, d'ennui,

Qu'à ses plus grands malheurs aucun ne compatisse ;

Qu'il ait regret à moi pour son dernier supplice ;

Et que mon souvenir jusque dans le tombeau

Attache à son esprit un éternel bourreau.

Jason me répudie ! et qui l'aurait pu croire ?

S'il a manqué d'amour, manque-t-il de mémoire ?

Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits ?

M'ose-t-il bien quitter après tant de forfaits ?

Sachant ce que je puis, ayant vu ce que j'ose,

Croit-il que m'offenser ce soit si peu de chose ?

Quoi ! mon père trahi, les éléments forcés,

D'un frère dans la mer les membres dispersés,

Lui font-ils présumer mon audace épuisée ?

Lui font-ils présumer qu'à mon tour méprisée,

Ma rage contre lui n'ait par où s'assouvir,

Et que tout mon pouvoir se borne à le servir ?

Tu t'abuses, Jason, je suis encor moi-même.

Tout ce qu'en ta faveur fit mon amour extrême,

Je le ferai par haine ; et je veux pour le moins

Qu'un forfait nous sépare, ainsi qu'il nous a joints ;

Que mon sanglant divorce, en meurtres, en carnage,

S'égale aux premiers jours de notre mariage,

Et que notre union, que rompt ton changement,

Trouve une fin pareille à son commencement.

 

Médée Kali Laurent Gaudé ( scène 2) [Actes Sud 2003]

Médée Kali : Tu me suis toujours. Tu veux savoir qui je suis. Tu veux savoir d’où vient cet effroi que j’ai au fond des yeux et qui contamine, d’un seul regard, ceux que je croise. Regarde. Nous sommes arrivés. Je t’ai amené jusqu’à lui : Jason, le premier homme que j’ai aimé, le premier homme aussi que mon regard a pétrifié. Tu ne l’imaginais pas ainsi. Il est là. Il n’a pas bougé. Un petit homme desséché. Il n’est pas mort – ne crois pas qu’il soit mort – il est juste épuisé et inerte. Il est resté là, les yeux vides, le corps amaigri, incapable de bouger. Il ne s’est pas nourri depuis des années, il n’a pas parlé ni pleuré. Le sang ne coule plus dans son corps, il est sec et épuisé. Je ne veux pas de sa mort, je veux qu ‘il dure inutile et seul, contemplant à l’infini le tombeau de ses enfants. Je te montre Jason là même où je l’ai laissé. Observe-le, il fut le premier, le premier a plongé dans mes yeux. Et pourtant, je peux dire qu’il n’a jamais su qui j’étais. Il n’a jamais demandé. Il lui a suffi de savoir que je m’appelais Médée. Il lui a suffi de sentir que je lui appartenais. Il n’a jamais su que je venais de plus loin que les plaines de Colchide, de plus loin encore que les hautes montagnes enneigées des frontières perses, de plus loin. Il n’a jamais demandé.