Le choeur dans la tragédie grecque

(Mme Christabel GRARE, IA-IPR de Lettres)

  • Le cadre historique

    Le choeur, dont l'existence remonte aux origines mêmes des représentations dramatiques, est un élément essentiel de la tragédie grecque, que celle-ci soit issue de rituels funéraires (1), de cultes dionysiaques (2) ou du dithyrambe (3), elle s'est constituée à partir du moment où a été introduit un personnage distinct (le chef de choeur ou coryphée, sans doute l'auteur lui-même), donnant la réplique au choeur par des vers non chantés. C'est à Thespis, dramaturge grec contemporain du tyran Pisistrate, dont les oeuvres théâtrales ont été perdues, qu'est attribuée cette innovation : il aurait ainsi fait représenter la première tragédie vers 535 à Athènes, à l'occasion de la fête des Grandes Dionysies (4). Vers 510 Phrynicos inventa le premier acteur ou protagoniste : masqué comme les choristes, il pouvait jouer plusieurs rôles. Puis, au Vè siècle, Eschyle institua le deuxième acteur ou deutéragoniste, et Sophocle le troisième ou tritagoniste :

    " Eschyle le premier porta de un à deux le nombre des acteurs, diminua l'importance du choeur et donna le premier rôle au dialogue ; Sophocle porta le nombre des acteurs à trois et fit peindre la scène ".

    Aristote, Poétique, 1449 a, Paris, Les Belles Lettres, 1932, pp. 34-35.

    La tragédie atteignit rapidement son apogée. Athènes connaissait alors la période la plus brillante de son histoire : les guerres médiques lui avaient permis d'asseoir son hégémonie sur les autres cités grecques et d'être à la tête de la ligue de Délos (477) ; les réformes politiques de Clisthène et d'Ephialtès avaient contribué à instaurer un régime de démocratie directe ; Périclès (5) avait poursuivi leur action (entre 460 et 429), renforcé la puissance athénienne et il s'était mis à embellir la cité de nombreux temples et monuments. Les Grandes Dionysies attiraient désormais d'immenses foules venues " de tous les horizons où l'on parlait le grec " (Baldry, Le théâtre tragique des Grecs, Paris, Maspéro-La Découverte, 1975, p. 34).

    C'est dans le cadre de compétitions clôturant les fêtes en l'honneur de Dionysos, Lénéennes et surtout Grandes Dionysies, qu'avaient lieu les représentations théâtrales. Leur organisation, qui prenait plusieurs mois, met en lumière le rôle essentiel que jouait primitivement le choeur. Dès son installation, en effet, l'archonte éponyme (7) nommait les chorèges " au nombre de trois qu'il (prenait) parmi tous les Athéniens et les plus riches " (Aristote, Constitution d'Athènes, LVI-3). Les citoyens désignés devaient recruter et entretenir les choreutes (membres du choeur) - douze, puis quinze -, ainsi que l'aulète (joueur de flûte) qui les accompagnait. Ils étaient également chargés de payer les costumes, le local pour les répétitions, la réception finale et plus généralement tous les frais qu'entraînait cette liturgie (obligation de service public). Les choeurs étaient attribués par l'archonte aux trois poètes dont il avait retenu la candidature. D'abord entraînés et dirigés par les auteurs eux-mêmes, ils ont été confiés vers la fin du Vè siècle à des chefs de choeur professionnels (8).

    Les prix, qui étaient décernés à bulletin secret par un jury composé de dix membres tirés au sort parmi des citoyens représentant toutes les tribus athéniennes (9), étaient primitivement attribués aux chorèges et aux poètes. Les pièces n'étant pas publiées, c'était pour les auteurs tragiques la seule façon de faire connaître leurs oeuvres. Des copies officielles des tragédies des trois grands dramaturges ne seront établies et conservées qu'à partir d'une loi de Lycurgue (vers 330 avant J.-C.). Leur talent a néanmoins été reconnu et consacré par plusieurs victoires aux grandes Dionysies. Les sources documentaires disponibles permettent d'en compter treize pour Eschyle, dix-huit pour Sophocle et quatre pour Euripide (Meier, De la tragédie grecque comme art politique, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 72).

    A partir du milieu du Vè siècle, on se mit à accorder également une distinction au meilleur protagoniste. Cette innovation souligne une importance accrue de l'acteur, liée à la part grandissante que prennent dans la tragédie les dialogues et l'action dramatique. Une analyse comparative (10) des oeuvres d'Eschyle (525-456), de Sophocle (vers 496-405) et d'Euripide (vers 480-406), met en évidence une évolution que Jacqueline de Romilly a résumée en ces termes : " (...) l'importance relative des deux éléments constitutifs de la tragédie - action dramatique et choeurs lyriques - s'est peu à peu modifiée, au point de se trouver inversée " (Romilly, La tragédie grecque, PUF, 1970, p. 26).

  • L'espace théâtral

    La double polarité choeur-personnages constitue l'essence même de la tragédie grecque. Elle est mise en évidence, dans le théâtre même, par l'organisation de l'espace scénique qui conditionne les évolutions respectives des choreutes et des acteurs. En effet, même si des déplacements et des rapprochements étaient possibles - et parfois nécessaires comme semble l'indiquer le texte de certaines pièces, - ils se produisaient généralement sur des lieux distincts.

    Il est difficile de se représenter avec exactitude les théâtres dans lesquels furent jouées les tragédies du Vè siècle. Les vestiges archéologiques, même les mieux conservés comme ceux d'Epidaure, correspondent à des constructions ou des remaniements du IVè siècle ou de la période hellénistique. Les documents écrits disponibles, comme ceux de Vitruve (architecte et ingénieur romain, fin du Ier siècle avant J.-C.) ou de Pollux (érudit grec, Ile siècle après J.-C.) sont encore plus tardifs. Il faut se contenter d'hypothèses, que rendent plausibles les informations données par les fouilles archéologiques, et les sources littéraires de la fin du Vè siècle et du IVe siècle, notamment les comédies (11) d'Aristophane (vers 455-388), les dialogues des orateurs, ainsi que les oeuvres de Platon (428 ou 427-347) (12), et surtout d'Aristote (384-322) (13).

    Dès l'origine, même si certaines structures étaient encore en bois (comme le théâtron ou gradins sur lesquels étaient assis les spectateurs, et la skéné ou petite construction dans laquelle les acteurs pouvaient aller changer de masque ou de costume), le théâtre grec comportait un espace scénique composé de deux aires distinctes : l'orchestra (lieu aménagé pour la danse), et la skéné qui lui était tangente. L'orchestra, espace circulaire nivelé, était réservé au choeur et accueillait ses évolutions chorégraphiques. Une thymélé, ancien tumulus funéraire devenu un petit autel de pierre consacré à Dionysos, marquait son centre : c'est là que venait s'asseoir le joueur de flûte qui accompagnait les chants et les danses des choreutes. Ceux-ci pénétraient dans l'orchestra par les parodoi (ou accès latéraux), puis ils y évoluaient collectivement, sans doute en colonnes, pendant leurs interventions chorales et chorégraphiques. Ils s'y maintenaient pendant toute la durée de la pièce, qui se déroulait sans entracte.

    La skéné, installée sur une plate-forme un peu surélevée, constituait l'espace de jeu des acteurs. Elle communiquait sans doute avec l'orchestra par quelques marches. Décoré de peintures et complètement intégré au lieu scénique, le simple vestiaire est devenu l'élément essentiel du décor : la façade du palais, qui sert de cadre privilégié à un grand nombre de tragédies. Une machine appelée ekkykléma (ce qu'on roule dehors) permettait de montrer ce qui s'était passé à l'intérieur, notamment les dénouements violents avec meurtre ou suicide, qui faisaient l'objet d'un récit rapporté par un messager. Elle a peut-être été utilisée dans les scènes finales d'Electre, Antigone ou Œdipe-Roi. Le toit de la skéné servait probablement de théologéion (lieu d'où parlent les dieux), espace élevé où apparaissaient les divinités intervenant dans l'action. Une méchané (sorte de grue de scène) pouvait soulever les acteurs dans les airs, et un bronteion (machine à bruitage) servait à imiter le bruit du tonnerre.

    Le dispositif scénique était donc très simple, et il n'existait pas de véritable décor, au sens moderne du terme. Comme dans le théâtre élisabéthain, le cadre était suggéré à travers la parole et le chant. C'est, par exemple, le cas dans la première réplique d'Oedipe décrivant la foule des jeunes suppliants à genoux devant son palais (vers 1 à 13), ou dans la réponse du prêtre évoquant le drame de la peste qui s'est abattue sur Thèbes (vers 14 à 57). Ses propos tragiques sont repris et amplifiés dans la première intervention du choeur (vers 168 à 188). 11 n'existait pas non plus, dans le texte primitif, de didascalies : les indications scéniques qui figurent dans les éditions modernes sont des annotations tardives de scholiastes. Théâtre de la parole et du chant, la tragédie grecque donnait au Verbe toute sa puissance créatrice.

  • Les représentations théâtrales

    Cette dichotomie dans l'espace scénique correspond à une dualité dans les modes d'expression du choeur (danse et chant choral) et des acteurs (poésie dialoguée, parfois chantée). La tragédie grecque offrait ainsi un spectacle complet associant chorégraphie, musique, et poésie. Le choeur, quant à lui, contribuait largement à lui donner sa valeur plastique et musicale. Ces aspects visuels et sonores sont difficiles à imaginer avec exactitude, mais ils étaient indissociables. Composée par le poète lui-même, jouée par l'aulète, la musique était destinée à mettre en valeur la langue poétique, mais aussi les voix, les gestes et les mouvements. Les choeurs étaient chantés à l'unisson, la mélodie suivait le rythme des stances et les strophes déterminaient les figures de danse, lentes ou rapides, statiques ou animées :

    " Un ancien commentateur nous dit que tandis qu'il chantait le premier groupe de stances, le choeur évoluait vers la droite (d'où son nom en grec : strophe, le fait de se tourner), et tandis qu'il chantait la seconde partie symétrique de la première (antitrophè), il évoluait en sens inverse cependant qu'à la fin si une strophe supplémentaire était ajoutée (épode), il restait immobile. "

    Baldry, op. cit. , pp. 101-102.

    Les choreutes et les acteurs intervenaient à tour de rôle et les spectateurs écoutaient alternativement du chant choral et des dialogues parlés. Mais le chef de choeur ou coryphée occupait une position intermédiaire et servait de lien entre les deux groupes de participants. Jouissant de relations privilégiées avec les personnages (sans doute liées à son rôle aux débuts de la tragédie), il participait au dialogue par de courtes répliques dans les scènes dialoguées appelées épisodes (du grec épéisodion signifiant arrivée d'un acteur venant se joindre au choeur). Inversement, et souvent quand l'action se dénouait et que la tension dramatique atteignait son point culminant, le protagoniste apparaissait pour chanter son malheur une dernière fois et mêler sa voix à celle du coryphée et des choreutes, dans une ultime déploration lyrique, le kommos (littéralement, coup dont on se frappe la poitrine). C'est le cas, par exemple, dans le dernier épisode d'Antigone, d'Oedipe-Roi, et d'Œdipe à Colone.

    L'alternance du chant, de la danse et des dialogues, définit donc bien l'esthétique de la tragédie grecque. Mais elle conduit, dans les moments d'émotion les plus intenses, à une véritable conjonction des effets lyriques, chorégraphiques et poétiques : " (...) les rapports originaux (...) de dialectique permanente du parlé et du chanté ne se réduisent pas à une juxtaposition simpliste de l'action dramatique et du lyrisme choral ". (Hoffmann, 1990, p. 43). Costumés et masqués, acteurs et choreutes, contribuaient conjointement à créer l'atmosphère tragique. Aristote, qui s'appuie principalement sur les oeuvres de Sophocle pour décrire la tragédie, insiste sur la nécessité d'intégrer le choeur dans l'action. Il regrette, par ailleurs, que tous les dramaturges n'aient pas su l'utiliser comme ce dernier, et que certains aient transformé les interventions chorales en simples intermèdes musicaux sans rapport avec l'intrigue :

    " (...) le choeur doit être considéré comme un des acteurs, faire partie de l'ensemble et concourir à l'action, non comme chez Euripide mais comme chez Sophocle. Mais chez la plupart des poètes, les chants n'appartiennent pas plus à la fable qu'à une autre tragédie ; c'est pourquoi on y chante "des chants intercalés" dont l'origine remonte à Agathon ".

    Aristote, Poétique, 1456 a, op. cit., p. 57.

    Hegel lui fait écho, à plus de vingt siècles d'intervalle, et associe la décadence de la tragédie grecque à cette évolution malheureuse :

    C'est une opinion erronée que celle d'après laquelle le choeur n'aurait été qu'une remorque inutile, une simple survivance du drame grec primitif. On peut toutefois faire remonter ses origines extérieures au fait que lors des fêtes de Bacchus, c'était le chant du choeur qui en formait la principale partie artistique, après quoi intervenait le récitant qui présentait aux spectateurs les figures réelles des héros de l'action dramatique. Mais si les choeurs furent maintenus à l'époque d'épanouissement de la tragédie, ce ne fut pas seulement pour accentuer ce moment de la fête divine et du culte de Bacchus ; bien au contraire : ils n'ont cessé de se développer et croître en beauté et mesure, parce qu'ils faisaient essentiellement partie de l'action et lui étaient nécessaires au point que la décadence de la tragédie avait commencé par celle des choeurs qui ont cessé peu à peu d'être partie intégrante du tout, pour devenir un ornement indifférent.

    Hegel, Esthétique, Paris, Flammarion, 1979, p. 280.

    Personnage collectif et anonyme le choeur exprime, en effet, les réactions et les émotions de la communauté civique représentée dans la pièce, souvent incarnée par les vieillards de la cité (14). Il manifeste sans doute aussi les croyances, les craintes et les aspirations partagées par les spectateurs, c'est-à-dire ce que Christian Meier, reprenant une expression utilisée par Max Weber, appelle le " savoir nomologique " des Athéniens. Ce dernier " renferme, plus ou moins clairement définies, une image du monde, des opinions sur la divinité, le cosmos, la nature, diverses représentations de la nécessité et du hasard, de ce qui est permis ou défendu, vrai ou faux, sûr ou douteux " (Meier, De la tragédie grecque comme art politique, Paris : Les Belles Lettres, 1991, p. 48). Ses interventions chorales ponctuent les étapes de l'action tragique dont elles amplifient l'impact et le retentissement. Son coryphée, par ailleurs, se conduit toujours auprès des personnages comme un témoin, un confident ou un conseiller fidèle. Les suggestions qu'il propose sont généralement écoutées, et leur permettent de démêler leurs sentiments, voire de prendre des initiatives. Le choeur assume ainsi, à un niveau aussi bien collectif qu'individuel, des fonctions dramatiques essentielles. Celles-ci revêtent une importance toute particulière dans les tragédies de Sophocle, et dans la pièce d'Oedipe-Roi, qui en offre l'une des formes les plus achevées.

Le choeur dans Œdipe-Roi

  • La structure formelle de la tragédie

    (..) si on considère l'étendue de la tragédie et les divisions séparées en lesquelles elle se partage, les parties sont les suivantes : le prologue, l'épisode, l'exode et le chant du choeur, celui-ci se divisant à son tour en parodos et stasimon ; ces parties sont communes à toutes les tragédies tandis que les chants qui viennent de la scène et les commoi sont particuliers à certaines d'entre elles.

    Le prologue est une partie complète de la tragédie qui précède l'arrivée du choeur; l'épisode est une partie complète de la tragédie qui se trouve entre des chants complets du choeur; l'exode est une partie complète de la tragédie qui n'est pas suivie de chants du choeur; parmi les chants du choeur la parados est le premier morceau complet que dit le choeur et le stasimon un chant du choeur qui ne comprend ni vers anapestique ni vers trochaïque (15), le commos est une complainte qui vient à la fois du choeur et de la scène.

    Aristote, Poétique, op. cit., 1452 b, pp. 45-46.

    Tableau 1 : Structure formelle d'Œdipe-Roi
    Tableau 2 : Répartition des parties chantées et dialoguées dans Œdipe-Roi
    (à télécharger avec le document complet, en début ou fin de page)

  • Les parties chorales

    La structure formelle de la tragédie grecque marque une tension entre ses deux composantes lyrique et dramatique. Pour Jacqueline de Romilly le choeur est un personnage collectif que le statut de spectateur passif rend impuissant, d'où le choix de personnes occupant une place assez marginale dans la cité, femmes ou vieillards :

    Il est d'ailleurs bien évident que, dans des tragédies de ce type, le choeur doit être tout à la fois plus intéressé que quiconque à l'issue des événements et pourtant incapable d'y jouer lui-même aucun rôle. Il est, par définition, impuissant. Aussi est-il le plus souvent formé de femmes ou alors de vieillards trop vieux pour aller se battre, trop vieux même pour se défendre...

    J. de Romilly, La tragédie grecque, PUF, 1970, p. 28.

    Jean-Pierre Vernant, dont les analyses relèvent à la fois de la sociologie de la littérature et de ce qu'il appelle une anthropologie historique, considère que cette tension révèle un clivage entre le passé et le présent, entre l'univers du mythe et celui de la cité :

    (...) d'un côté le choeur, personnage collectif et anonyme incarné par un collège officiel de citoyens, et dont le rôle est d'exprimer dans ses craintes et dans ses espoirs, ses interrogations et ses jugements, les sentiments des spectateurs qui composent la communauté civique ; de l'autre, joué par un acteur professionnel, le personnage individualisé dont l'action forme le centre du drame et qui a figure de héros d'un autre âge toujours plus ou moins étranger à la condition ordinaire du citoyen. A ce dédoublement du choeur et du héros tragique correspond, dans la langue de la tragédie, une dualité. Mais ici se marque déjà l'aspect d'ambiguïté qui nous paraît caractériser le genre tragique. C'est la langue du choeur, dans ses parties chantées, qui prolonge la tradition lyrique d'une poésie célébrant les vertus exemplaires du héros des temps anciens. Chez les protagonistes du drame, la métrique des parties dialoguées est au contraire voisine de la prose.

    J.-P. Vernant, Mythe et tragédie en Grèce ancienne,

    Paris, Editions de la Découverte, 1989, p. 27.

    Le lyrisme choral accentue, en effet, cette opposition. Les chants du choeur sont composés de strophes et d'antistrophes dans lesquelles les figures rythmiques se répondent d'une façon symétrique. Quant au lexique, il présente des spécificités linguistiques et poétiques:

    Au musical s'ajoutent le lexical et même le dialectal ; en effet, des traits dialectaux doriens singularisent les passages lyriques d'une tragédie par ailleurs totalement attique et surtout le vocabulaire est somptueux, largement emprunté au fond épicolyrique antérieur. Si bien que le chœur, personnage ordinaire jusqu'à l'anonymat dans le dramatique est, de tous les acteurs de la tragédie celui dont le langage est quand il chante le plus éclatant, le plus poétique. Aux autres personnages la poésie dramatique de leur destin tragique, à lui la poésie lyrique qui en est le commentaire chanté.

    G. Hoffmann, Sophocle : Œdipe-Roi, Paris, PUF, 1990, p. 44.

    Cette tension est source de richesse et de complexité dans Œdipe- Roi où, malgré toutes les particularités formelles, les parties chorales sont parfaitement intégrées à la tragédie. Des liens subtils se tissent ainsi, dès l'exposition, entre le prologue et la parodos. Ils sont d'abord d'ordre visuel : le choeur des vieillards thébains sous la direction de leur coryphée succède au groupe des jeunes suppliants conduits par le prêtre de Zeus. La cité apparaît ainsi à travers deux tableaux contrastés et complémentaires : à l'enfance s'oppose la vieillesse, au statisme le mouvement de la danse, au silence le chant. Des échos s'établissent du dialogue parlé aux paroles chantées : tous sont tourmentés par la même angoisse devant l'épidémie de peste(16) qui s'est abattue sur Thèbes. Leur émotion transparaît dans la description qu'ils fournissent du terrible fléau. Les liens sont alors thématiques et poétiques : (voir les analyses d'extraits dans le document complet)

  • Le Coryphée

Le Coryphée, dans son double rôle de chef des choreutes et d'interlocuteur privilégié des acteurs, contribue, encore davantage à faciliter l'intégration du choeur dans l'action. Il joue, en effet, en raison sans doute de l'histoire même de la tragédie, le rôle d'un véritable personnage : il participe au dialogue sur le même mode que les acteurs (la parole et non le chant) et assume des fonctions précises. Il permet au dramaturge, qui ne disposait que de trois acteurs pour tous les rôles, un peu plus de souplesse dans la gestion de l'action(21). On peut supposer, en effet, que la distribution des rôles était celle que propose Raphaël Dreyfus dans son introduction à Œdipe-Roi dans l'édition des oeuvres d'Eschyle et de Sophocle parue dans la collection La Pléiade chez Gallimard.