Traduire les langues anciennes pour apprendre à penser : pertinence des TICE ?

Formation PLC2 lettres classiques IUFM de Grenoble, Sophie Van Esch, 3/12/07

 

 

 

« Penser est difficile. Notre inclination naturelle nous laisserait bien souvent dériver vers ces situations tranquilles où les autres pensent à notre place. Penser requiert un courage individuel irréductible. On ne peut jamais contraindre quiconque à penser. On ne déclenche pas la réflexion philosophique comme on déclenche le décollage d’une fusée, en appuyant sur un bouton. Mais c’est précisément parce que penser est difficile, que nous avons besoin d’outils et de points d’appui pour nous y aider. » Ph. Meirieu, Préface de l’ouvrage de M. Tozzi, Penser par soi-même. Initiation à la philosophie, 3e éd., EVO-Chronique Sociale, Lyon, 1996, p. 10

 

Si l’on se prend à remplacer « penser » par « traduire » dans cette citation, combien il apparaît évident soudain quel mauvais service on rend à l’élève en traduisant à sa place …

 

I.                 Extrait de : « Compétences terminales et savoirs requis en Latin-Grec », José Dooms, Administrateur général de l’Enseignement et de la Recherche scientifique, Direction de la recherche en Education et du pilotage interréseaux, Bruxelles

 

L’exercice de la version rendra les élèves capables de structurer leur pensée et d’organiser leur raisonnement. Ceci implique :

-        la mise en œuvre des connaissances linguistiques, lexicales, morphologiques, syntaxiques et stylistiques ;

-        l’exercice des capacités d’observation et d’analyse ;

-        l’intuition contrôlée par l’analyse ;

-        la rigueur et la finesse dans la perceptin des constituants des phrases

-        la formulation et la vérification d’hypothèses ;

-        un savoir-faire logique ;

-        une réflexion critique ;

-        la cohérence dans la construction du sens en tenant compte des polyvalences sémantiques ;

-        le sens de la nuance dans la compréhension ;

-        la justesse et la clarté dans l’expression ;

-        l’utilisation efficace d’ouvrages de référence chaque fois qu’elle s’avère nécessaire. 

 

 

II.              Extrait de : « Exercer des compétences en langues anciennes», synthèse de la formation 2000-2002, Thomas Debrux, Conseiller pédagogique, Namur-Luxembourg

 

 

Exemples de 3 démarches pour un exercice de version (à partir d’un texte d’Ovide, en classe de Terminale) :

 

 

 

 

Première possibilité :

Phase 1: Traduction en classe, de manière magistrale, d’un premier groupe de vers (enseignement collectif)

Phase 2: Travail de groupes, trois élèves avec chacun un rôle défini (secrétaire, gardien du temps, gardien de la tâche), élaboration de la traduction des six vers suivants. Consignes : 45 minutes, constitution d’une liste des mots de vocabulaire connus, une phrase résumant ce qui a été compris, liste de vocabulaire inconnu (avec alors dictionnaire et grammaire), traduction.  Les rôles changent avec les étapes.

Évaluation formative en grand groupe.

Phase 3: Travail individuel, suivant la même procédure pour les six vers suivants

Évaluation sommative .

 

Deuxième possibilité :

Phase 1: Travail individuel suivant la même procédure (liste de vocabulaire connu; phrase-résumé, vocabulaire inconnu, traduction)

Phase 2: Mise en commun en groupes ou en classe, débat sur la traduction, sans prise de notes

Auto-évaluation

Phase 3: Finalisation de la traduction, de manière individuelle

Évaluation sommative

 

Troisième possibilité:

Phase 1: Travail de groupes, élaboration d’une liste de vocabulaire connu

Évaluation

Phase 2: Traduction individuelle

Phase 3: Constat grammatical à partir des traductions individuelles, interrogation sur les mots-clefs du texte (Temps, cas, etc...)

Évaluation

Phase 4: Finalisation de la traduction, de manière individuelle

Évaluation sommative.

 

Ces démarches supposent bien entendu que les élèves ont acquis certaines connaissances (mots de vocabulaire fréquentiel, usage du dictionnaire et de la grammaire; etc..). Elle suppose également une coordination verticale précise.

 

Exemple de grille d’évaluation :

 

 Les élèves en disposent dès le début de l’année, elle sert également lors des corrections, en vue de l’élaboration d’un carnet de route, où figure le relevé des fautes, ainsi que la référence aux pages de grammaire.

 

 

 

 

Critères

(Qualités attendues du travail)

Indicateurs

(Indices observables)

Evaluation

1. Prise en compte du contexte (Périphérie du texte)

Indices précis et significatifs tirés des périphériques au texte.

 

2. Traduction en français correct, dans le respect du texte latin ou grec

Prise en compte et rendu correct :

-                          des signes de ponctuations significatives et des paragraphes

-                          des coordonnants

-                          des subordonnants

-                          du rapport chronologique

-                          du vocabulaire (choix correct)

-                          de la syntaxe des cas et genre.

-                          Syntaxe des modes et des voix

 

3. Cohérence de sens entre le texte originel et la traduction

Formulation synthétique des idées principales du texte

 

 

 

Les élèves ont également à leur disposition une autre grille, elle est utilisée dans le cadre de l’évaluation formative. Elle ne vise pas, comme la précédente, à évaluer le résultat, mais bien la démarche. Il s’agit donc d’une grille d’apprentissage. La structuration de ce document part d’un double constat : certains étudiants analysent systématiquement tous les mots du texte. Ils ont un mode de fonctionnement qui privilégie la méthode analytique (cerveau gauche), ils manquent dès lors souvent d’une vue globale, celle qui donne le sens général au texte. D’autres élèves, plus rares peut-être, donnent du texte une traduction, tenant compte cette fois d’un sens général qu’ils ont perçu, ou cru percevoir. Ils passent peu par l’analyse des formes. Ils donnent donc la priorité au sens global (cerveau droit). Or si l’exercice de version est si difficile, c’est parce qu’il nécessite l’utilisation équilibrée des deux hémisphères. Voilà pourquoi il est éminemment formateur. Nous devons donc essayer d’amener nos élèves à utiliser tantôt le cerveau gauche, tantôt leur cerveau droit. C’est ce à quoi cette grille s’attache à faire. Vous trouvez en italiques les démarches analytiques, en caractères normaux les démarches globalisantes. L’ordre dans lequel figurent les différentes étapes est donné à titre d’exemple.

 

 

 

 

 

Indicateurs

(Indices observables)

Evaluation de l’élève

Evaluation du professeur

Résumé significatif de la biographie de l’auteur, de son genre littéraire, de son époque.

 

 

Relevé des signes de ponctuations, des mots/liens, des relatifs éventuels.

 

 

Relevé des mots de vocabulaire connus

 

 

Résumé du sens hypothétique du texte à partir des info disponibles

 

 

Tableau des mots inconnus et de leurs sens et analyses

 

 

Respect de la syntaxe des cas

Respect des temps, des modes, des voix

Orthographe

Style

 

 

Reformulation en quelques mots du sens perçu.

 

 

 

 

 

III.           A quoi sont liées les principales difficultés que rencontrent les élèves ?

 

Dans une synthèse réalisée par l’équipe des conseillers pédagogiques en langues anciennes du groupe ICAFOC, publiée dans la revue Latinter n°1 d’avril 2002, « Pratique de la version, école des compétences », un classement des difficultés liées à l’exercice de version (en cours de latin) est proposé, dont le classement ci-dessous s’inspire largement :

 

1)     Difficultés liées à la maîtrise de la langue latine (SAVOIR) :

-        Morphologie

-        Structures syntaxiques de base (cum + ABL, …)

-        Vocabulaire de base

 

1)     Difficultés liées à la mise en œuvre de processus (SAVOIR-FAIRE) :

SAVOIR-FAIRE DISCIPLINAIRE :

-        Reconstituer les groupes accordés

-        Rapport cas / fonction ; conjonction/mode

-        Vérification des hypothèses

                                SAVOIR-FAIRE METHODOLOGIQUE :

-        difficultés d’élaborer des hypothèses différentes

-        oublis de mots

-        ne pas tenir compte des informations données

-        traduire sans construire

-        appréhension globale du texte, perception de sa cohérence sémantique (# approche segmentée)

 

1)     Difficultés liées à « autre chose »

-        Méconnaissance profonde de la langue française (vocabulaire et phraséologie)

-        Absence de représentation ou d’évocation du contenu

-        Logique : cohérence interne

-        Perte de temps dans le dictionnaire

 

 

IV.            Pertinence des TICE ?

 

Au vu des difficultés listées, dans quels interstices les TICE peuvent-elles se glisser de manière pertinente dans l’apprentissage de la version ?

 

1)     Des exercices autocorrectifs pour préparer une version ?

 

Les « Crustula » d’Yves Ouvrard, de l’académie de Poitiers, proposent une série d’exercices autocorrectifs à propos de points délicats de morphologie et de syntaxe, en vue d’aider les élèves dans leur apprentissage de la traduction. Le professeur peut donc lister les difficultés grammaticales auxquelles les élèves seront confrontés dans la version qu’il veut proposer et inviter les élèves à se préparer en s’entraînant à surmonter ces difficultés.

http://195.221.249.61/lang%5Fanc/crustula/

Mais une telle préparation suppose une maturité évidente de la part des élèves : il n’y a aucune possibilité de traçabilité du travail réellement effectué à partir d’exercices tels que les Crustula en ligne …

 

2)     Un diaporama pour aider à la traduction collective ?

 

La possibilité de guider une traduction collective avec un diaporama venant visualiser chaque étape de l’analyse qui précède la formulation d’une traduction peut être une autre façon d’aider les élèves dans leur apprentissage.

Exemple de support :

http://helios.fltr.ucl.ac.be/vanesch/POITIERS_ATELIER/Vercingetorix_2.ppt

Le professeur peut espérer que les élèves, en en visualisant les étapes , comprennent mieux ce qu’est une démarche d’investigation intellectuelle et qu’ils acquièrent certains automatismes.

Une telle activité de traduction « guidée » n’a de sens bien sûr que si elle est suivie d’une phase d’appropriation du texte ou de la démarche : la formulation d’une traduction personnelle par exemple.

 

3)     Un pupitre virtuel pour appareiller un texte de version ?

 

On peut enfin recourir à la possibilité d’équiper les pupitre particulièrement dépouillés de nos élèves (qui ne disposent en général ni de précis de grammaire, ni de dictionnaire) avec des ouvrages en ligne, auxquels on peut joindre des documents d’aide élaborés personnellement (éclaircissement syntaxiques, etc …)

Le support visible à l’adresse http://helios.fltr.ucl.ac.be/vanesch/Eutrope/ ,avec une présentation en diptyque, pourrait très bien se réduire à une simple page html constituée du texte latin surmonté de liens hypertextes vers un dictionnaire, une grammaire, le site du TLFI et celui du Conjugueur par exemple : il devient alors très simple de réalisation. Les élèves peuvent très bien rendre leur version sur feuille à leur professeur.

L’inconvénient majeur réside ici dans le fait que les élèves ne manipulent pas les dictionnaires de référence qui seront les leurs lors du bac par exemple …