Traduction

Traduction de J. Baillard, 1914, reprise, pour les Itinera Electronica, au site NIMISPAUCI de Ugo BRATELLI

Sénèque salue son cher Lucilius.

J'ai appris avec plaisir de ceux qui viennent d'auprès de vous que vous vivez en famille avec vos esclaves ! je reconnais là votre prudence et vos principes. Ils sont esclaves ; mais ils sont hommes. Ils sont esclaves ! mais ils logent sous votre toit. Ils sont esclaves ! non ; ils sont des amis dans l'abaissement. Ils sont esclaves ! eh ! oui, nos compagnons d'esclavage, si nous considérons que la fortune a un égal pouvoir sur eux et sur nous. Aussi je ris, quand je vois des hommes tenir à déshonneur de souper avec leur esclave ; et pourquoi ? parce qu'un usage insolent entoure le maître, à son souper, d'une foule d'esclaves debout autour de lui. Il prend, ce maître, plus de nourriture qu'il n'en peut contenir ; il surcharge avec une effrayante avidité son estomac déjà plein et déshabitué de ses fonctions ; il avale avec peine, pour rejeter avec plus de peine encore ; cependant ses malheureux esclaves ne peuvent ouvrir la bouche, pas même pour lui parler.
Le fouet est là pour étouffer tout murmure ; le hasard lui-même n'est pas pour eux une excuse ; une toux, un éternument, un hoquet, le plus léger bruit, sont autant de crimes suivis du châtiment. Toute la nuit, ils restent debout, à jeun, en silence. Qu'en arrive-t-il ? on se tait devant le maître ; on parle de lui en arrière. Mais les esclaves dont les lèvres n'étaient pas cousues, ceux qui pouvaient converser devant le maître et avec lui, ceux-là étaient prêts à mourir pour lui, à détourner sur leur tête le péril qui le menaçait. Ils parlaient à table, mais ils se taisaient à la torture.