PLATON, L'Apologie de Socrate, 40a-40e, « Pourquoi craindre la mort ? »

[40] Je veux vous dire, comme à des amis, une chose qui vient de m'arriver, et vous expliquer ce qu'elle signifie. Oui, mes juges (et en vous appelant de ce nom je ne me trompe point), il m'est arrivé aujourd'hui une chose bien merveilleuse. La voix divine de mon démon familier, qui m'avertissait si souvent, et qui dans les moindres occasions ne manquait jamais de me détourner de tout ce que j'allais entreprendre de mal, aujourd'hui qu'il m'arrive ce que vous voyez, et ce que la plupart des hommes prennent pour le plus grand de tous les maux, cette voix ne m'a rien fait entendre, ni ce matin quand je suis sorti de ma maison, ni lorsque je suis venu devant ce tribunal, ni lorsque j'ai commencé à vous parler. Cependant il m'est arrivé très souvent qu'elle m'a interrompu au milieu de mes discours : et aujourd'hui, elle ne s'est opposée à quoi que ce soit que j'aie pu dire ou faire. Qu'est-ce que cela peut signifier ? Je vais vous le dire. C'est qu'il y a de l'apparence que ce qui m'arrive est un grand bien ; et nous nous trompons tous, sans doute, si nous pensons que la mort soit un mal. Une preuve bien évidente, c'est que, si je n'avais pas dû accomplir aujourd'hui quelque bien, le Dieu n'aurait pas manqué de m'en avertir à son ordinaire. Approfondissons un peu la chose, pour faire voir que c'est une espérance bien fondée, que la mort est un bien. Il faut de deux choses l'une, ou que la mort soit un absolu anéantissement et une privation de tout sentiment, ou, comme on dit, un passage de l'âme d'un lieu dans un autre. Si elle est la privation de tout sentiment, un paisible sommeil, qui n'est troublé par aucun songe, quel merveilleux avantage n'est-cc pas que de mourir ? car si quelqu'un, après avoir passé une nuit bien tranquille, sans aucune inquiétude, sans aucun trouble, sans le moindre songe, la comparait avec toutes les autres nuits et tous les autres jours qu'il a passés, et qu'il fût obligé de dire en conscience combien il aurait passé de jours et de nuits dans toute sa vie plus heureusement que cette nuit-là, je suis persuadé non seulement qu'un simple particulier, mais que le grand roi lui-même, en trouverait un bien petit nombre, et qu'il serait très aisé de les compter. Si la mort est quelque chose de semblable, je l'appelle justement un bien ; car le temps tout entier n'est plus alors qu'une longue nuit. Mais si la mort est un passage de ce lieu dans un autre, et que ce qu'on dit soit véritable, que là-bas est le rendez-vous de tous ceux qui ont vécu, quel plus grand bien peut-on imaginer, mes juges ?

 

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