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Traduction

Traduction de Émile CHAMBRY : PLATON, Le Banquet. Paris, Classiques Garnier, 1922

(215a) [...] Pour louer Socrate, messieurs, je procéderai par comparaison ; lui croira peut-être que je veux le tourner en ridicule ; non, c'est un portrait réel et non une caricature que je veux tracer ainsi. Je dis donc qu'il ressemble tout à fait à ces silènes qu'on voit exposés (215b) dans les ateliers des statuaires, et que l'artiste a représentés avec des syringes et des flûtes à la main ; si on les ouvre en deux, on voit qu'ils renferment à l'intérieur des statues de dieux. Je soutiens aussi qu'il ressemble au satyre Marsyas. Que tu ressembles de figure à ces demi-dieux, Socrate, c'est ce que toi-même tu ne saurais contester ; mais que tu leur ressembles aussi pour le reste, c'est ce que je vais prouver. Tu es un moqueur, n'est-ce pas ? Si tu n'en conviens pas, je produirai des témoins. Mais je ne suis pas joueur de flûte, diras-tu. Si, tu l'es, et beaucoup plus merveilleux que Marsyas. (215c) Il charmait les hommes par l'effet des sons que sa bouche tirait des instruments, et on les charme encore quand on joue ses mélodies ; car les airs que jouait Olympos sont, suivant moi, de Marsyas, son maître ; en tout cas, qu'ils soient joués par un grand artiste ou par une méchante joueuse de flûte, ces airs ont seuls le pouvoir d'enchanter les coeurs, et, parce qu'ils sont divins, ils font reconnaître ceux qui ont besoin des dieux et des initiations. La seule différence qu'il y ait entre vous, c'est que tu en fais tout autant sans instruments, par de simples paroles. (215d) Quand on entend d'autres discours de quelque autre, fût-ce un orateur consommé, personne n'y prend pour ainsi dire aucun intérêt ; mais quand c'est toi qu'on entend, ou qu'un autre rapporte tes discours, si médiocre que soit le rapporteur, tous, femmes, hommes faits, jeunes garçons, nous sommes saisis et ravis.

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Effectivement, c'est une chose que j'ai omis de dire en commençant, que ses discours ressemblent exactement à des silènes qui s'ouvrent. (221e) Si en effet l'on se met à écouter les discours de Socrate, on est tenté d'abord de les trouver grotesques : tels sont les mots et les tournures dont il enveloppe sa pensée qu'on dirait la peau d'un injurieux satyre. Il parle d'ânes bâtés, de forgerons, de cordonniers, de tanneurs, et il semble qu'il dit toujours les mêmes choses dans les mêmes termes, en sorte qu'il n'est lourdaud ignorant (222a) qui ne soit tenté d'en rire ; mais qu'on ouvre ces discours et qu'on pénètre à l'intérieur, on trouvera d'abord qu'ils renferment un sens que n'ont point tous les autres, ensuite qu'ils sont les plus divins et les plus riches en images de vertu, qu'ils ont la plus grande portée ou plutôt qu'ils embrassent tout ce qu'il convient d'avoir devant les yeux pour devenir honnête homme.