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Traduction

Traduction de Victor Cousin reprise, pour les Hodoi Elektronikai, sur le site de Philippe Remacle.

(50a)…
SOCRATE. Voyons si de cette façon tu l'entendras mieux. Au moment de nous enfuir, ou comme il te plaira d'appeler notre sortie, si les Lois et la République elle-même venaient se présenter devant nous et nous disaient :
« Socrate, que vas-tu faire ? L'action que tu prépares (50b) ne tend-elle pas à renverser, autant qu'il est en toi, et nous et l'état tout entier ? car, quel état peut subsister, où les jugements rendus n'ont aucune force, et sont foulés aux pieds, par les particuliers ? »
Que pourrions-nous répondre, Criton, à ce reproche, à beaucoup d'autres semblables qu'on pourrait nous faire ? »
[…]
(52d)…
SOCRATE. « Et que fais-tu donc, continueraient-elles, que de violer le traité qui te lie à nous, (52e) et de fouler aux pieds tes engagements ? et pourtant tu ne les as contractés ni par force, ni par surprise, ni sans avoir eu le temps d'y penser ; mais voilà bien soixante-dix années pendant lesquelles il t'était permis de te retirer, si tu n'étais pas satisfait de nous, et si les conditions du traité ne te paraissaient pas justes. Tu n'as préféré ni Lacédémone, ni la Crète, dont toujours tu vantes le gouvernement, (53a) ni aucune autre ville grecque ou étrangère ; tu es même beaucoup moins sorti d'Athènes que les boiteux, les aveugles, et les autres estropiés ; tant il est vrai que tu as plus aimé que tout autre Athénien, et cette ville, et nous aussi apparemment, car qui pourrait aimer une ville sans lois ? Et aujourd'hui, tu serais infidèle à tes engagements ! Non, si du moins tu nous en crois, et tu ne t'exposeras pas à la dérision en abandonnant ta patrie ;
[…]
(54b)… Socrate, suis les conseils de celles qui t'ont nourri : ne mets ni tes enfants, ni ta vie, ni quelque chose que ce puisse être, au-dessus de la justice, et quand tu arriveras aux enfers, tu pourras plaider ta cause devant les juges que y trouveras ; car si tu fais ce qu'on te propose sache que tu n'amélioreras tes affaires, ni dans ce monde, ni dans l'autre. Et subissant ton arrêt, (54c) tu meurs victime honorable de l'iniquité, non des lois, mais des hommes ; mais, si tu fuis, si tu repousses sans dignité l'injustice par l'injustice, le mal, par le mal, si tu violes le traité qui t'obligeait envers nous, tu mets en péril ceux que tu devais protéger, toi, tes amis, ta patrie et nous. Tu nous auras pour ennemis pendant ta vie, et quand tu descendras chez les morts, nos sœurs, les Lois des enfers, ne t'y feront pas un accueil trop favorable, sachant que tu as fait tous tes efforts pour nous détruire. Ainsi, que Criton (54d) n'ait pas sur toi plus de pouvoir que nous, et ne préfère pas ses conseils aux nôtres. »
Tu crois entendre ces accents, mon cher Criton, comme ceux que Cybèle inspire croient entendre les flûtes sacrées : le son de ces paroles retentit dans mon âme, et me rend insensible à tout autre discours ; et sache qu'au moins dans ma disposition présente, tout ce que tu pourras me dire contre sera inutile. Cependant si tu crois pouvoir y réussir, parle.

CRITON. Socrate je n'ai rien à dire.

SOCRATE. (54e) Laissons donc cette discussion, mon cher Criton, et marchons sans rien craindre par où Dieu nous conduit.