L’historiographie (ou écriture de l'histoire)

L'histoire est un genre majeur de la littérature latine qui n'apparaît pourtant que sept siècles après la fondation légendaire de la ville, mais se déploie sur cinq siècles de vie littéraire. L'influence grecque y est manifeste, puisque le terme même d'histoire est issu du grec ἱστορία (historia), qui, à l’origine, chez Hérodote, signifiait «enquête». L'historien a pour fonction de raconter les événements, les actions accomplies, les res gestae. Pour cela, il a recours à des sources diverses, souvent peu sûres, dans lesquelles il recherche plus la cohérence que la vérité.

LA CONCEPTION DE L'HISTOIRE CHEZ LES ANCIENS

Extrait du cours de P.-A. Deproost

En tant qu'historien, Tite-Live s'insère dans une longue tradition grecque et romaine. En Grèce, après Hérodote et surtout Thucydide (qui restera le modèle de l'historien « scientifique »), l'histoire était devenue de plus en plus un genre littéraire. Les uns, à la suite d'Isocrate et de ses élèves, Éphore et Théopompe, la soumirent à l'emprise de la rhétorique et firent bon marché de la vérité ; d'autres, interprétant Aristote avec excès, lui assignèrent, avec Douris de Samos, les mêmes buts qu'à la tragédie et multiplièrent les récits suscitant la terreur et la pitié ; d'autres enfin, s'inspirant encore d'Isocrate, lui attribuèrent une fonction moralisante ou virent en elle l'illustration d'une philosophie. Seul Polybe, véritable successeur de Thucydide, soutint que la vérité devait l'emporter sur les considérations littéraires, sans pour autant proclamer la gratuité de l'œuvre historique qui doit participer à la formation de l'homme d'État en lui fournissant une méthode qui le rende capable d'affronter n'importe quelle situation à venir. Pour la forme, les premiers historiens grecs s'attachent le plus souvent à traiter un sujet limité ; en revanche, à l'époque hellénistique et romaine, ils conçoivent volontiers l'histoire comme universelle, en tenant compte, bien entendu, du fait romain.
À ses débuts, l'histoire à Rome est presque exclusivement nationale, voire nationaliste. Elle traite volontiers, année par année, ou groupes d'années en cas de nécessité, de l'histoire romaine depuis les origines. L'histoire est alors l'œuvre des annalistes. Aveuglée par le nationalisme et le manque de documents pour les périodes anciennes, elle est le plus souvent suspecte parce que rédigée par les thuriféraires d'une famille ou d'une faction. À la fin de la République, l'influence grecque modifie légèrement cet état de choses et l'on en vient à traiter des sujets limités avec un certain souci de véracité. Dans le De Oratore, Cicéron lui-même, constatant qu'en Grèce aucun rhéteur n'avait défini les lois du genre historique, expose en termes clairs les exigences d'une histoire moderne à la fois véridique et bien écrite. Il insiste sur la nécessité d'un exposé chronologique et sur l'utilité de la géographie, suivant, sur ce dernier point, Polybe et Posidonius d'Apamée, le maître de Cicéron à Rhodes ; pour le récit proprement dit, il exige non seulement la relation des faits, mais l'énoncé des causes et des conséquences des événements. Outre une curiosité scientifique, ces exigences trahissent l'intérêt que Cicéron porte au rôle de l'individu dans la détermination de l'histoire. Pour lui comme pour presque tous les Anciens, celle-ci résulte de la conjonction de deux facteurs : l'action de l'homme et celle de la Fortune (Fortuna, casus). Aussi les causes qu'il désire voir dégager relèvent-elles de ces deux facteurs et estime-t-il indispensable de brosser le portrait moral et civique des hommes placés aux postes de responsabilité.
Car l'historien antique a une conception de l'histoire plus humaine que notre conception scientifique, une conception de l'histoire plus à la mesure de l'homme qu'à la mesure des faits. Sans doute peut-il reconnaître la présence et l'action obscures d'un destin, mais sur le plan des événements, c'est l'homme qui fait l'histoire, qui en est la signification. Les historiens d'aujourd'hui attachent plus d'importance à d'autres facteurs, qui dépassent l'homme en tant qu'individu : facteurs économiques, sociaux, géographiques, etc., qui limitent l'efficience consciente de l'homme sur l'histoire. Toute l'histoire moderne a élargi ses vues quant aux causes et aux conditions qui font l'histoire ; l'action de l'homme y est de plus en plus déterminée par des facteurs matériels dont il n'a pas toujours la maîtrise ; la part personnelle de la liberté humaine, des responsabilités individuelles est estompée dans la somme des vies quotidiennes, dans l'étude des responsabilités collectives des sociétés, dans le déterminisme des cartes géographiques ou des structures économiques, culturelles, politiques, etc. Pour l'historien antique, ce sont d'abord des personnalités qui font l'histoire. La conception moderne de l'histoire réduit la part de l'individu pour privilégier celle des structures économiques, politiques, culturelles ou idéologiques. En revanche, l'histoire antique ne domine pas bien ces données ; tout en s'inscrivant et en vivant dans un réseau de structures et de représentations collectives, l'homme antique n'en mesure pas nécessairement la force et le pouvoir dans le cours même des événements, convaincu que l'histoire est d'abord le fait d'individus exceptionnels, de modèles ou d'exempla à imiter ou à rejeter.

LES HISTORIENS ANCIENS

Historiens romains

- IIIe s. av. J. C.
Fabius Pictor est le premier historien latin... mais il écrivit en grec. Il ne reste de lui que des citations ; il a cependant constitué une source importante pour d'autres historiens (Tite-Live et Polybe particulièrement).

- Ier s. av. J. C.
Cornélius Népos, 99 – 24 av. J. C.
Salluste, 86 – 35 av. J. C., est l'auteur de la Conjuration de Catilina, et la Guerre de Jugurtha.
Asinius Pollion, 76 av. J. C. – 4 apr. J. C. a composé une histoire des guerres civiles qui n'a pas subsisté, mais a été utilisée par d'autres historiens (Appien et Plutarque notamment).

- Ier s. av. J. C. - Ier s. apr. J. C.
Tite-Live, 57 av. J. C. – 17 apr. J. C.
Velleius Paterculus, 19 av. J. C. – 31 apr. J. C., a écrit un abrégé d'histoire romaine.

- Ier-IIe s. apr. J. C.
Tacite, 55 – 120 apr. J. C., est l'auteur des Annales et des Histoires.
Suétone, 69 – 126 apr. J. C., a écrit la Vie des douze Césars.
Florus, est l'auteur d'un résumé de Tite-Live.
Trogue Pompée, est l'auteur des Historiae Philippicae, entièrement perdues, mais dont Justin (cf. ci-dessous) nous a transmis la substance.

- IIe s. apr. J. C. (ou IIIe...)
Justin, est l'auteur d'un abrégé de l'histoire romaine de Trogue Pompée.

- IVe s. apr. J. C.
Eutrope a composé un Abrégé d’histoire romaine, composé d’après Tite-Live.

Historiens grecs

- Ve s. av. J. C.
Hérodote, 490 - 425 av. J. C., a composé les Histoires, récit des guerres médiques.
Thucydide, 460/455 – 399 av. J. C., est l'auteur de La Guerre du Péloponnèse.

- IIe s. av. J. C.
Polybe, 200 - 120 av. J. C.

- Ier s. av. J. C.
Diodore de Sicile, 90 – 20 av. J. C., est l'auteur de la Bibliothèque historique, qui est presque entièrement conservée.

- Ier-IIe s. apr. J. C.
Plutarque, 50 – 125 apr. J. C.

- IIe s. apr. J. C.
Appien, 95 – 160 apr. J. C., a composé une compilation d'histoires rédigées en grec.

Géographes grecs

Strabon, 58 av. J. C. – 25 apr. J. C.
Pausanias, IIe s. apr. J. C.

On pourra consulter

  • le cours de P.-A. Deproost sur Tite-Live
  • l'ouvrage Les Genres Littéraires à Rome, R. Martin et J. Gaillard, Nathan, 1990

et lire des morceaux choisis d'historiens.