TRADUCTION

Traduction d'Eugène LASSERRE, Tite-Live, Histoire romaine, t. IV, Paris, Garnier, 1937

6. On se battit à peu près trois heures, et partout avec fureur ; c'est pourtant autour du consul que la lutte fut la plus vive et la plus acharnée. C'était lui que suivait l'élite des soldats, et lui-même, partout où il s'apercevait que les siens étaient pressés et à la peine, il leur portait secours activement ; son armure le faisant remarquer, les ennemis mettaient plus de violence à l'attaquer, et ses concitoyens à le défendre, jusqu'au moment où un cavalier Insubrien - il s'appelait Ducarius - reconnaissant le consul à ses traits aussi, dit à ses compatriotes : voici l'homme qui a taillé nos légions en pièces et ravagé nos champs et notre ville. Maintenant, je vais, moi, l'offrir comme victime aux mânes de nos concitoyens indignement massacrés ; puis, donnant de l'éperon à son cheval, à travers la foule la plus serrée des ennemis, il s'élance, et, après avoir décapité l'écuyer qui s'était jeté devant sa marche menaçante, il transperce le consul de sa lance ; comme il voulait le dépouiller, les triaires, en lui opposant leurs boucliers, le repoussèrent. Un grand nombre de Romains, après cela, commença à fuir ; et bientôt ni lac ni montagnes n'étaient un obstacle à la peur ; à travers défilés, escarpements de toutes sortes, aveuglément, ils s'échappent ; tout armés, les hommes se précipitent les uns sur les autres. Beaucoup, là où il n'y a pas d'endroit pour fuir, s'avançant dans l'eau au bord peu profond du marais, s'y enfoncent jusqu'à ce que leurs têtes et leurs épaules dépassent seules. Il y en eut qu'une peur irréfléchie poussa à prendre la fuite même à la nage ; quand ils voyaient que cette façon de fuir était sans fin et sans espoir, ou, le courage leur manquant, ils étaient engloutis par un gouffre, ou, après s'être fatigués en vain, ils regagnaient avec beaucoup de peine les hauts fonds, ou les cavaliers ennemis, entrés dans l'eau, les massacraient çà et là. Environ six mille hommes de la tête de la colonne, perçant énergiquement à travers les ennemis qui leur étaient opposés, sans rien savoir de ce qui se passait derrière eux, s'échappèrent du défilé, et, s'étant arrêtés sur une hauteur, d'où ils n'entendaient que les cris et le bruit des armes, ne pouvaient ni savoir quel était le sort du combat, ni le voir, à cause de l'obscurité. Enfin, l'affaire une fois décidée, comme le brouillard, dissipé par la chaleur du soleil, avait laissé paraître le jour, à sa claire lumière, les monts et la plaine leur montrèrent le désastre, et les lignes romaines indignement abattues. Aussi, dans la crainte qu'en les apercevant au loin, on n'envoyât contre eux la cavalerie, arrachant promptement de terre leurs enseignes, ils s'esquivèrent le plus vite possible. Le lendemain, comme, entre autres difficultés, une faim extrême les pressait, Maharbal, qui, avec toutes les troupes de cavalerie, les avait rejoints pendant la nuit, leur donnant sa parole que, s'ils livraient leurs armes, il les laisserait aller avec le vêtement qu'ils portaient, ils se rendirent ; mais cette promesse, Hannibal l'observa avec la foi punique, et tous furent jetés dans les fers.

7. Telle fut la fameuse bataille de Trasimène, et l'une des rares défaites mémorables du peuple romain. Quinze mille Romains furent tués dans le combat ; dix mille, dispersés par la fuite à travers toute l'Étrurie, gagnèrent Rome par les chemins les plus divers ; deux mille cinq cents ennemis périrent dans la bataille, beaucoup, par la suite, de leurs blessures. Il y eut un grand carnage de part et d'autre, à ce que rapportent certains ; pour moi, outre mon désir de ne rien grossir sans raison, défaut auquel n'inclinent que trop, en général, les historiens, j'ai considéré que c'était à Fabius, contemporain de cette guerre, que je devais me fier de préférence. Hannibal, après avoir renvoyé sans rançon les prisonniers de nom latin, et fait enchaîner les Romains, ayant ordonné de séparer, des tas de cadavres ennemis amoncelés, les corps des siens, et de les ensevelir, fit rechercher aussi avec le plus grand soin, pour l'honorer de funérailles, le corps de Flaminius, mais sans le trouver.