Commentaire

Version officielle / version d'un romancier

Quelques précisions sur certains personnages et événements cités :

Laecae : M. Porcius Laeca était apparenté à Caton et appartenait à une très grande famille sénatoriale.

Manlium : Manlius ou Mallius, complice de Catilina qui a constitué une petite armée et s'est établi dans la vallée de l'Arno, à Fésules (près de Florence)

 

Rappel des principaux événements :

"[en 63 av J.C.], Catilina se présente pour la troisième fois et recommence son agitation démagogique, en l'accentuant encore. Il pousse en secret le centurion Manlius à recruter en Etrurie, surtout parmi les vétérans de Sylla une petite armée de mécontents. Cicéron n'ignore rien, grâce aux révélations de Fulvia, maîtresse de Q. Curius, un des amis de Catilina.

A Rome, le bruit court que des incendies et des massacres se préparent. Caton dépose au sénat une plainte contre Catilina, qui se répand en menaces terribles et prend une séries de mesures de précaution qui ne passent pas tout à fait inaperçues : il grossit l'armée d'Etrurie, en lève une seconde en Apulie, accumule des armes à Fésules. il prépare et organise l'incendie de dix-huit quartiers de Rome et le massacre de toute l'aristocratie.

Crassus [riche homme politique romain]  reçoit chez lui plusieurs lettres anonymes qui l'invitent, lui et quelques sénateurs, à quitter Rome avant la nuit fatale. Il les apporte au consul. Nous sommes le 20 octobre.

Cicéron convoque le Sénat, lui communique les lettres reçues par Crassus et, secrètement documenté par Fulvia, annonce, pour le 27 octobre, la révolte de Manlius et, pour la nuit du 28 au 29, l'incendie de Rome et le massacre de tous les "honnêtes gens". Panique au Sénat. On arme les consuls des pouvoirs dictatoriaux (senatusconsultum ultimum). Deux petites armées se porteront contre les rebelles ; les volontaires organiseront, dans Rome, des veilles et des rondes de nuit.

Manlius se soulève. On le déclare ennemi public. Malheureusement la complicité de Catilina ne peut être encore établie ouvertement par le consul, car il ne tient ses renseignements que des confidences de Fulvia. Nous arrivons ainsi au 28 octobre, journée des élections consulaires que Cicéron n'a pas réussi à faire ajourner. Il se montre sur le forum, entouré d'une garde de chevaliers et protégé par une cuirasse. Tous les amis de l'ordre donnent leur voix à Silanus et à Murena, qui sont élus. Catilina est évincé pour la troisième fois.

    Désormais, il n'attend plus rien des voies légales : il va entrer en révolte ouverte.

    Dans la nuit du 6 au 7 novembre, l'aventurier réunit ses partisans chez Porcius Laeca. Derniers conseils et derniers ordres, en vue des incendies et des massacres. Deux conjurés (C. Cornelius et L. Vargunteius, d'après Salluste, ou Marcius et Céthégus, d'après Plutarque) s'engagent à égorger Cicéron chez lui, à son lever. Prévenu par Fulvia, Cicéron échappe à cet attentat.

    Le lendemain 8 novembre, le consul convoque d'urgence le sénat dans le temple de Jupiter Stator"

(introduction de Henri Bornecque au tome X des Catilinaires dans l'édition des Belles Lettres, Paris, 1942)

 

Et si l'on avait le point de vue de Catilina ?

 

C'est un peu ce que nous propose l'écrivain américain Steven Saylor dans son livre "L'énigme Catilina", paru chez 10/18 en 1997. En voici un extrait dans lequel Catilina expose au héros Gordien (un "detective") et à son fils Meto sa propre version des faits lors de la fameuse nuit du 6 au 7 novembre (p. 351/352) :

 

"- Pourquoi as-tu fui la ville ? demanda Méto.

- Parce que, aujourd'hui, en plein Sénat, Cicéron a déclaré qu'il aimerait me voir mort, comme je vous le dit ! Je n'ai aucune raison de ne pas le croire : j'ai fui pour sauver ma peau !

- Les hommes armés que Cicéron a dépêché à ta poursuite racontaient une autre histoire, dis-je [le narrateur est Gordien). Selon eux, tu avais envoyé des hommes pour assassiner Cicéron hier matin.

- Les hommes que Cicéron m'a envoyé me tueront, moi, s'ils m'attrapent !

- Mais ce qu'ils ont raconté, c'est vrai ? insista Meto.

- Nouveau mensonge ! soupira Catilina. Cicéron est allé proclamant que, il y a deux nuits, j'étais sorti secrètement de la maison de Metellus afin de participer à une réunion, destinée à fixer un plan pour l'assassiner. Deux de mes amis — Caius Cornélius et Lucius Vargunteius — devaient se présenter à sa porte, pour une visite du matin, et le poignarder une fois introduits auprès de lui. Comme si aucun des deux pouvait espérer en réchapper après un tel acte ! Mais Cicéron est un malin : au milieu de la nuit, il convoque certains sénateurs qui continuaient à douter de ses dires à venir tout de suite chez lui. Lorsqu'ils arrivent chez Cicéron, les lampes sont allumées partout et la maison est pleine de gardes du corps, armés jusqu'aux dents. Tu apprécieras la mise en scène. Il leur annonce qu'une information terrible vient de lui parvenir : Catilina et ses complices, réunis cette même nuit dans une maison de la rue des Dinandiers, avaient mis au point son assassinat. Les sicaires seraient Caius Cornélius et Lucius Vargunteius, amis connus de Catilina et fauteurs de troubles notoires. « Attendez seulement, ajoute-t-il, ils arriveront au matin, assoiffés de sang. Vous serez mes témoins. »

« Et de fait, au matin, Cornélius et Vargunteius se présentent à la maison de Cicéron ! Pourquoi ? Non pas pour l'assassiner, bien sûr, mais parce qu'ils ont été tirés de leur lit par un message anonyme — un de plus ! — les enjoignant de se rendre sur-le-champ chez le consul s'ils tenaient à leur vie ! Tu comprends la ruse infernale ? Cornélius et Vargunieius frappent à la porte ; les esclaves refusent de leur ouvrir ; le ton monte, on échange des insultes, tes gardes du corps arrivent, l'épée nue, avec les sénateurs présents dans la maison. Mes deux amis, déjà peu rassurés par le message anonyme, prennent peur et s'enfuient. Et notre Cicéron peut annoncer au Sénat, aujourd'hui, qu'il a déjoué une tentative d'assassinat sur sa personne, en présence de témoins dignes de foi qui hochent gravement la tête !

«Tu vois, lorsqu'il avait prétendu sa vie menacée, en été, en essayant de faire ajourner une seconde fois l'élection consulaire, personne ne l'avait cru : ses satellites armés, sa cuirasse sous la toge, c'était trop ! Mais cette fois, il a mis au point une machination plus subtile : aujourd'hui, au Sénat, j'ai eu du mal à en croire mes oreilles, n'étant au courant de rien. Puis j'ai parlé avec Cornélius et Vargunteius, et j'ai tout compris."