Déclarations d'Émile Zola au jury lors de son procès. |
Photographie anthropomorphique d'Émile Zola au moment de ses procès
"Déclaration au jury" (publiée dans l'Aurore du 22 février 1898). Emile Zola
avait pris la défense de Dreyfus accusé d’espionnage. Dans un contexte fortement
antisémite, il accuse l’armée française en publiant un article dans L’Aurore
(J’accuse…). On le traîne en justice pour diffamation. Voici sa déclaration au
jury, alors que Dreyfus a été condamné au bagne à l’île du Diable.
Vous n'en êtes pas à dire comme beaucoup : ''Que nous importe qu'un
innocent soit à l'île du Diable ! est-ce que l'intérêt d'un seul vaut la peine
de troubler ainsi un grand pays ?'' Mais vous vous dites tout de même que notre
agitation, à nous les affamés de vérité et de justice, est payée trop chèrement
par tout le mal qu'on nous accuse de faire. Et, si vous me condamnez, messieurs,
il n'y aura que cela au fond de votre verdict : le désir de calmer les vôtres,
le besoin que les affaires reprennent, la croyance qu'en me frappant, vous
arrêterez une campagne de revendication nuisible aux intérêts de la France. Eh
bien ! messieurs, vous vous tromperiez absolument. Veuillez me faire l'honneur
de croire que je ne défends pas ici ma liberté. En me frappant, vous ne feriez
que me grandir. Qui souffre pour la vérité et la justice devient auguste et
sacré. Regardez-moi, messieurs : ai-je mine de vendu, de menteur et de traître ?
Pourquoi donc agirais-je ? Je n'ai derrière moi ni ambition politique, ni
passion de sectaire. […] Dreyfus est innocent, je le jure. J’y engage ma vie,
j’y engage mon honneur. A cette heure solennelle, devant ce tribunal qui
représente la justice humaine, devant vous les jurés, qui êtes l’émanation même
de la nation, devant toute la France, devant le monde entier, je jure que
Dreyfus est innocent. Et, par mes quarante années de travail, par l’autorité que
ce labeur a pu me donner, je jure que Dreyfus est innocent. Et par tout ce que
j’ai conquis, par le nom que je me suis fait, par mes œuvres qui ont aidé à
l’expansion des lettres françaises, je jure que Dreyfus est innocent. Que tout
cela croule, que mes œuvres périssent, si Dreyfus n’est pas innocent. Il est
innocent.
Tout semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à grands tirage, l’opinion publique qu’ils ont empoisonnée. Et je n’ai pour moi que l’idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je vaincrai.
Je n’ai pas voulu que mon pays restât dans le mensonge et dans l’injustice. On peut me frapper ici. Un jour, la France me remerciera d’avoir aidé à sauver son honneur.