Texte complémentaire

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[3,59] LIX. (220) Omnis autem hos motus subsequi debet gestus, non hic uerba exprimens scaenicus, sed uniuersam rem et sententiam non demonstratione, sed significatione declarans, laterum inflexione hac forti ac uirili, non ab scaena et histrionibus, sed ab armis aut etiam a palaestra; manus autem minus arguta, digitis subsequens uerba, non exprimens; bracchium procerius proiectum quasi quoddam telum orationis; supplosio pedis in contentionibus aut incipiendis aut finiendis. (221) Sed in ore sunt omnia, in eo autem ipso dominatus est omnis oculorum; quo melius nostri illi senes, qui personatum ne Roscium quidem magno opere laudabant; animi est enim omnis actio et imago animi uultus, indices oculi: nam haec est una pars corporis, quae, quot animi motus sunt, tot significationes (et commutationes) possit efficere; neque uero est quisquam qui eadem coniuens efficiat. Theophrastus quidem Tauriscum quendam dicit actorem auersum solitum esse dicere, qui in agendo contuens aliquid pronuntiaret. (222) Qua re oculorum est magna moderatio; nam oris non est nimium mutanda species, ne aut ad ineptias aut ad prauitatem aliquam deferamur; oculi sunt, quorum tum intentione, tum remissione, tum coniectu, tum hilaritate motus animorum significemus apte cum genere ipso orationis; est enim actio quasi sermo corporis, quo magis menti congruens esse debet; oculos autem natura nobis, ut equo aut leoni saetas, caudam, auris, ad motus animorum declarandos dedit, qua re in hac nostra actione secundum uocem uultus ualet; (223) is autem oculis gubernatur. Atque in eis omnibus, quae sunt actionis, inest quaedam uis a natura data; qua re etiam hac imperiti, hac uulgus, hac denique barbari maxime commouentur: uerba enim neminem mouent nisi eum, qui eiusdem linguae societate coniunctus est sententiaeque saepe acutae non acutorum hominum sensus praeteruolant: accio quae prae se motum animi fert, omnis mouet; isdem enim omnium animi motibus concitantur et eos isdem notis et in aliis agnoscunt et in se ipsi indicant.

[3,59] LIX. Toutes ces inflexions de la voix doivent être accompagnées d'un geste analogue : non qu'il faille exprimer chaque mot à la manière des comédiens; l'orateur n'a pas besoin de tout rendre par la pantomime; il lui suffira de marquer l'effet général de la pensée. Ses poses doivent être nobles et mâles; elles doivent rappeler l'attitude du guerrier sous les armes ou même de l'athlète, plutôt que celle du comédien sur la scène. Que la main n'en veuille pas trop dire; que les doigts suivent les paroles, sans chercher à en exprimer le sens; que le bras s'étende en avant, comme pour lancer le trait de l'éloquence; que le pied frappe quelquefois la terre, au commencement et à la fin d'une discussion animée. Mais tout dépend de la physionomie, dont le pouvoir réside surtout dans les yeux. Nos pères en cela voyaient mieux que nous; car ils goûtaient peu les acteurs sous le masque, fût-ce même Roscius. En effet, c'est l'âme qui donne de la force et de la vérité à l'action; l'âme dont le visage est le miroir, et dont les yeux sont les interprètes : c'est la seule partie du corps qui puisse rendre nos passions avec toutes leurs nuances et toute leur mobilité; et l'on n'y réussira jamais, si l'on tient constamment les yeux fixés sur le même objet. Théophraste disait en partant d'un acteur appelé Tauriscus, qu'il parlait le dos tourné au public, parce qu'en débitant son rôle son regard était toujours fixe et immobile. C'est donc le mouvement des yeux qu'il faut régler avec le plus grand soin; quant à l'expression des traits, on ne doit pas chercher à la varier outre mesure; on se rendrait ridicule ou difforme. C'est le regard qui tour à tour tendu ou adouci, lancé puissamment ou égayé, peut traduire tous les mouvements de l'âme dans un juste rapport avec le caractère des paroles. L'action est comme l'éloquence du corps; elle doit donc être toujours en harmonie avec la pensée. Or, la nature nous a donné les yeux pour exprimer ce que nous sentons, comme elle a destiné à la même fin les oreilles du cheval, la queue et la crinière du lion. Ainsi dans l'action, après la voix, la physionomie est ce qu'il y a de plus puissant, et ce sont les yeux qui la gouvernent. La nature a donné à tout ce qui tient à l'action une force qui agit puissamment sur les ignorants, sur la multitude, sur les barbares eux-mêmes. Pour que les mots fassent impression, il faut que l'auditeur connaisse la langue de celui qui parle; et souvent toute la finesse des pensées vient échouer contre des esprits qui manquent de finesse. Mais l'action, qui peint les mouvements de l'âme, parle un langage intelligible à tous les hommes; car nous éprouvons tous les mêmes passions; et nous les reconnaissons dans les autres aux mêmes signes qui nous servent à les exprimer.

Cicéron, De l'Orateur, livre III