TEXTE 2 : Virgile, Enéide, IV, vers 1-30

traduction du texte

Voici une traduction d'Anne-Marie Boxus et de Jacques Poucet :

Mais la reine, blessée par l'angoisse oppressante de l'amour,
entretient son mal en ses veines, se consume en un feu secret.
Sans cesse lui reviennent à l'esprit la grande valeur, l'immense prestige
de la race du héros, dont les traits et les paroles restent fixés en son coeur;l'inquiétude ne laisse point à ses membres la douceur du repos.
L'Aurore suivante parcourait la terre portant le flambeau de Phébus;
elle avait à peine chassé du ciel les ombres humides que, l'esprit égaré,
Didon s'adresse ainsi à sa soeur, son intime confidente:
"Anne, ma soeur, des songes terrifiants me laissent perplexe!
Tu vois cet hôte qui vient d'entrer en nos demeures! Quelle noblesse
il porte sur son visage, avec ce coeur vaillant et ces faits d'armes!
Il est de la race des dieux, je le crois vraiment, et je ne me trompe pas!
La crainte dévoile les âmes viles. Mais lui, comme les destins l'ont malmené! Et les guerres qu'il nous a contées, vécues jusqu'à l'épuisement!
Si en mon coeur n'était arrêtée, fixe et irrévocable, ma volonté
de ne m'unir à aucun homme dans les liens du mariage,
depuis que la mort m'a déçue, me privant de mon premier amour,
si je n'avais pris en horreur la couche et les torches nuptiales,
pour lui seul peut-être aurais-je pu succomber à cette faute.
Oui, Anne, je l'avouerai, depuis la mort du pauvre Sychée, mon époux,
depuis que nos pénates furent éclaboussés par le crime de mon frère,
lui seul a ému mes sens et ranimé mon esprit chancelant.
Je reconnais les marques de la flamme ancienne. Mais puisse la terre m’engloutir en ses profondeurs ou puisse Jupiter tout-puissant, de sa foudre, me conduire vers les ombres,les ombres pâles dans l’Érèbe, et vers la nuit profonde,ô pudeur, avant que je t’outrage ou que je faillisse à tes droits. Celui qui le premier m’a unie à lui a emporté mes amours.
Qu’il les garde avec lui et les conserve dans son tombeau ».
Ainsi dit-elle, et l
es larmes jaillissaient, inondant les plis de son corsage.