Socrate par lui-même (réponse à Antiphon)
XENOPHON, Les Mémorables, I, 6, 4-5 et 9-10

4. A ce discours Socrate répliqua : « Tu t'es fait, je crois, Antiphon, une si fâcheuse idée de mon existence que, j'en suis sûr, tu préférerais mourir que de vivre comme je vis. Eh bien donc, examinons en quoi tu trouves ma vie pénible. 5. Est-ce parce que, à l'opposé de ceux qui, prenant de l'argent, sont obligés de faire ce pour quoi on les paye, moi, qui ne reçois rien, je ne suis pas contraint de m'entretenir avec ceux qui me déplaisent ? Ou bien méprises-tu mon régime, sous prétexte que ma nourriture est moins saine et moins fortifiante que la tienne, ou que mes aliments, étant plus rares et plus coûteux, sont plus difficiles à trouver que les tiens, ou encore parce que les mets que tu te prépares te sont plus agréables que les miens ne le sont pour moi ? Ne sais-tu pas que plus on a de plaisir à manger, moins on a besoin d'assaisonnement, et que, plus on a de plaisir à boire, moins on a besoin d'une boisson qu'on n'a pas ?
[…]
9. Cela étant, penses-tu que tout cela puisse donner un plaisir égal à celui qu'on goûte à la pensée qu'on devient soi-même meilleur et qu'on acquiert des amis meilleurs ? Pour moi c'est la pensée que j'ai toujours. En outre, s'il faut servir ses amis ou sa patrie, lequel a le plus de loisir pour s'en occuper, de celui qui vit comme je fais, ou de celui dont tu trouves la vie heureuse ? S'il faut faire la guerre, qui la fera le plus facilement, de celui qui ne peut vivre sans une table somptueuse, ou de celui qui se contente de ce qu'il a sous la main ? En cas de siège, qui se rendra le plus vite, de celui qui a besoin des mets les plus difficiles à trouver, ou de celui qui se contente des plus faciles à obtenir ? 10. Tu sembles croire, Antiphon, que le bonheur consiste dans le luxe et la magnificence ; moi, je pense que c'est le propre de la divinité de n'avoir aucun besoin, que, moins on a de besoin, plus on se rapproche d'elle, et, comme divinité est la perfection même, que ce qui nous rapproche le plus de la divinité nous rapproche le plus de la perfection. »

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