Aristophane dissimule donc sous des plaisanteries un peu burlesques les pensées les plus sérieuses et les plus hautes.

Mais il lui faut à présent subir, en souriant sous cape, le très élégant discours du bel Agathon, le héros de la fête, qui amplifie avec talent le thème que Phèdre voulait traiter : il énumère ainsi les vertus de l'Amour en sophiste passé en maître. Il avouera cependant à Socrate qui l'interroge qu'il risque de ne pas avoir bien compris ce qu'il disait !

La parole de Socrate se fait alors entendre et contraste singulièrement avec l'éloquence maniérée du dicours précédent. En un style simple et familier, le maître expose sa conception de l'Amour, qui s'élève par degrés de la beauté physique aux belles occupations, aux belles sciences et parvient à la science suprême : celle de l'idéale Beauté. Puis, comme il sent qu'il va atteindre le lyrisme, c'est à une Diotime imaginaire qu'il fait tenir un discours qui reprendra les princpaux thèmes des premiers discours, mais en les transposant à un niveau supérieur de la réflexion, avec comme seule visée la recherche de la vérité et non celle de la séduction de l'auditoire.

Mais l'entrée d'Alcibiade, un peu ivre, avec sa joueuse de flûte et ses compagnons de plaisir, exactement comme Dionysos est représenté dans l'imagerie grecque, interrompt la discussion. On avait cru chasser Dionysos du banquet ce soir là, voilà qu'il revient de la manière la plus surprenante ! Mais il y a mieux : on avait aussi cru chasser Eros, en le remplaçant par une série de discours élogieux en l'honneur de la divinité, or... voilà qu'Alcibiade remplace Eros par Socrate dans son discours ! Ne serait-ce pas que la divinité, que l'on avait cru "éclipser", n'était en fait depuis le début du banquet parmi les convives, en la personne de Socrate lui-même ?

Cependant la figure de Socrate-Eros a ce soir là décidément une attitude bien surprenante : serrée tout contre Alcibiade sous le même manteau, et malgré les offres transparentes de ce dernier, entre les deux amants il ne se passe ...rien du tout. Là où les convives croyaient saisir l'Amour au début du banquet, et s'en "débarrasser" en renvoyant la joueuse de flûte, il n'y avait donc peut-être rien non plus... Peut-être alors fallait-il tout simplement regarder ailleurs...Où cela ? en la personne du philosophe, amant de la sagesse et détaché du désir incarné.