Causes de la deuxième guerre
punique
Tite-Live attribue à la haine la reprise
des hostilités de part et d'autre de la
Méditerranée.
Odiis etiam prope maioribus
certarunt quam uiribus, Romanis indignantibus quod uictoribus
uicti ultro inferrent arma, Poenis quod superbe auareque crederent
imperitatum uictis esse. Histoire romaine, XXI, 1.
C'était plutôt une lutte de
haine que de force : les Romains s'indignaient de voir les vaincus
provoquer les vainqueurs, et les Carthaginois trouvaient qu'on avait
traité les vaincus avec tyrannie et cupidité.
On se reportera aussi aux récits du serment d'Hannibal.
Selon Polybe, Histoires, III, 9-12 :
[...] Je crois donc qu'entre les causes pour lesquelles les Romains ont fait la guerre aux Carthaginois, la première est le ressentiment d'Hamilcar, surnommé Barca, et père d'Hannibal ; car, quoiqu'il eût été défait en Sicile, son courage n'en fut point abattu. Les troupes qu'il avait commandées à Éryce étaient encore entières, et dans les mêmes sentiments que leur chef. Si, cédant aux temps, il avait fait la paix après la bataille qu'avaient perdue sur mer les Carthaginois, son indignation restait toujours la même, et n'attendait que le moment d'éclater. Il aurait même pris les armes aussitôt après, sans la guerre que les Carthaginois eurent à soutenir contre les soldats mercenaires. Mais il fallut d'abord penser à cette révolte, et s'en occuper tout entier. Ces troubles apaisés, les Romains étant venus à déclarer la guerre aux Carthaginois, ceux-ci n'hésitèrent pas à se mettre en défense, persuadés qu'ayant la justice à leur côté, ils ne manqueraient pas d'avoir le dessus, comme j'ai dit dans les livres qui précèdent, et sans lesquels on ne pourrait comprendre ni ce que je dis ni ce que je dois dire dans la suite. Mais comme les Romains eurent fort peu d'égards à cette justice, les Carthaginois furent obligés de s'accommoder aux conjonctures. Accablés et n'ayant plus de ressources, ils consentirent, pour avoir la paix, à abandonner la Sardaigne, et ajouter douze cents talents au tribut qu'ils payaient déjà. Et l'on ne doit point douter que cette nouvelle exaction n'ait été la seconde cause de la guerre qui l'a suivie, car Hamilcar, animé par sa propre indignation et par celle que ses concitoyens en avaient conçue, n'eut pas plus tôt affermi la tranquillité de sa patrie par la défaite des révoltés, qu'il tourna toutes ses pensées vers l'Espagne, s'imaginant bien qu'elle serait pour lui d'un puissant secours dans la guerre qu'il méditait contre les Romains. Les rapides progrès qu'il fit dans ce vaste pays doivent être regardés comme la troisième cause de la seconde guerre punique : les Carthaginois ne s'y engagèrent que parce qu'avec le secours des troupes espagnoles, ils crurent avoir de quoi tenir tête aux Romains. Quoique Hamilcar soit mort dix ans avant que cette guerre commençât, il est cependant aisé de prouver qu'il en a été le principal auteur. Entre les raisons sans nombre dont on pourrait se servir pour cela, je n'en citerai qu'une, qui rendra la chose évidente. Après qu'Hannibal eut été vaincu par les Romains, et qu'il fut sorti de sa patrie pour s'aller réfugier chez Antiochus, les Romains, sachant ce que méditaient contre eux les Etoliens, envoyèrent des ambassadeurs chez ce prince, dans le dessein de le sonder et de voir quelles pouvaient être ses vues. Les ambassadeurs, ayant découvert qu'il prêtait l'oreille aux propositions des Etoliens, et qu'il n'épiait que l'occasion de se déclarer contre les Romains, tâchèrent de lui rendre Hannibal suspect, et pour cela lui firent assidûment leur cour. La chose réussit selon leurs souhaits. Antiochus continua à se défier d'Hannibal, et ses soupçons ne firent qu'augmenter. Enfin l'occasion se présenta de s'éclairer l'un l'autre sur cette défiance. Hannibal se défendit du mieux qu'il put, mais voyant que ses raisons ne satisfaisaient pas Antiochus, il lui tint enfin ce discours [...lire le récit du serment d'Hannibal...]. On conviendra que ce témoignage de la haine d'Hamilcar et de tous les projets qu'il avait formés contre les Romains, est précis et sans réplique. Mais cette haine paraît encore plus dans ce qu'il fit ensuite, car il leur suscita deux ennemis, Hasdrubal son gendre, et Hannibal son fils, qui étaient tels, qu'après cela il ne pouvait rien faire de plus, pour montrer l'excès de la haine qu'il leur portait. Hasdrubal mourut avant que de pouvoir mettre son dessein à exécution, mais Hannibal trouva dans la suite l'occasion de se livrer avec éclat à l'inimitié que lui avait transmise son père contre les Romains. De là, ceux qui gouvernent doivent apprendre combien il leur importe de pénétrer les motifs qui portent les puissances à traiter de paix où à faire alliance avec eux. À moins que les circonstances ne soient impérieuses, on doit se tenir sur la réserve, et avoir toujours les yeux ouverts sur leurs démarches ; mais si leur soumission est sincère, on peut en disposer comme de ses sujets et de ses amis, et leur demander avec confiance tous les services qu'elles sont capables de rendre. Telles sont donc les causes de la guerre d'Hannibal.
Traduction de Dom Thuillier, (revue et corrigée), 1837, sur le site de P. Remacle
Lire le texte en grec
Lire la réfutation des arguments de Fabius Pictor ("chapitre II")
Déjà les imprécations de
Didon à la vue du départ d'Enée invitaient les
Carthaginois à la haine :
Tum uos, o Tyrii, stirpem et genus omne
futurum
exercete odiis, cinerique haec mittite nostro
munera. Nullus amor populis, nec foedera sunto.
Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor,
qui face Dardanios ferroque sequare colonos,
nunc, olim, quocumque dabunt se tempore uires.
Litora litoribus contraria, fluctibus undas
imprecor, arma armis ; pugnent ipsique nepotesque. Enéide, IV, 622-629
Maintenant vous, ô Tyriens, exercez vos
haines contre sa race
et toute sa descendance, et adressez-les en offrande à mes
cendres.
Nulle amitié, nulle alliance n'existeront entre nos peuples.
Lève-toi, inconnu né de mes os, mon vengeur ;
par le feu, par le fer, poursuis les colons dardaniens,
maintenant, plus tard, à tout moment, quand s'y prêteront
nos forces.
Rivages contre rivages, flots contre flots, armes contre armes,
c'est ma malédiction : qu'ils se fassent la guerre, eux et
leurs descendants.
Alcibiade Didascaux chez les Romains
Ainsi, la guerre est présentée
par les auteurs anciens comme inévitable à cause d'une
haine viscérale. Mais il est bien évident aussi que, dans
la conquête du bassin méditerranéen par Rome,
Carthage constitue tout simplement un obstacle.
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