INTRODUCTION
"C'est l'homme qui fait l'histoire" (cf. introduction, historiographie). Il faut donc décrire l'homme pour expliquer l'histoire, et particulièrement les grands hommes.
On pourra se reporter, pour le rôle du portrait dans l'historiographie, au cours de P.-A. De Proost sur Tite-Live, dont voici un extrait (introduction) :
Pour l'historien ancien, l'étude des caractères doit apparaître comme l'explication ultime des décisions prises, des réactions diverses devant les hommes et les événements, comme la raison des projets longuement mûris. Les portraits des personnages expliquent les événements et les rendent intelligibles. L'historien antique établit une cohérence directe entre les événements qu'il rapporte et le caractère, le portrait ou la psychologie des hommes qui les vivent (voir l'importance du portrait dans l'art romain). Cela dit, on ne trouve chez Tite-Live ni portrait complet (à la fois physique et moral comme le conçoivent les modernes) ni portrait moral d'un seul tenant (analogue à ceux que Salluste fait de Catilina ou de Jugurtha, d'après certaines traditions grecques), à l'exception des portraits de Papirius Cursor au livre IX et de Caton au livre XXXIX. Hérodote, Thucydide, Xénophon, Polybe, Salluste avaient sacrifié à l'art du portrait ; Cicéron l'exigeait. Mais, dans son souci primordial de raconter une histoire collective, Tite-Live préfère des moyens d'expression moins directs et plus fragmentaires dans la présentation de ses personnages qu'il ne veut pas couper de la masse romaine. Parfois un discours suffit à caractériser un personnage ; souvent quelques lignes, dépourvues d'indications physiques, en introduisent un autre et mettent en relief ses principaux traits de caractère (Ménénius Agrippa et Coriolan au livre II ; Antiochus Épiphane en XLI) ; souvent encore, même quand il s'agit de premiers rôles, le portrait ne se précise qu'au fil des circonstances qui les contraignent à se manifester (e.g. Hannibal, dont le portrait esquissé en XXI n'est achevé qu'en XXXIX ; Scipion l'Africain, mis en scène en XXVI, et dont la personnalité n'est complètement dégagée qu'en XXXIX, avec sa mort ; Philippe V de Macédoine, caractérisé seulement comme un ennemi acharné de Rome en XXXI et dont on ne saisit la personnalité intégrale qu'après sa mort en XL, comme si un individu n'atteignait son accomplissement qu'avec son anéantissement). Dans ses portraits, Tite-Live vise plus à suggérer qu'à peindre. Il rapporte les jugements des contemporains ; il montre l'effet que produisent sur eux les actes de ces hommes ; il cite des propos prononcés par eux dans telle circonstance révélatrice (voir dans H. BORNECQUE, p. 177 sq, l'analyse des portraits d'Hannibal et de Caton). À l'inverse de Polybe, Tite-Live, enfin, parle peu des populations étrangères et manifeste pour l'ethnographie un intérêt secondaire par rapport à celui que manifestent César ou Tacite.
Scipion a vingt-quatre ans à peine lorsqu'il est élu à l'unanimité général en chef, avec l'imperium, pour commander les armées en Espagne, celles de son père et de son oncle, Publius et Gnaeus, morts sous les coups de l'ennemi l'année précédente. Nous sommes en 211 ; Scipion quitte Rome pour l'Espagne ; Tite-Live nous en dresse alors un portrait qui vise surtout à expliquer les raisons de son élection par le peuple