Socrate, une grande figure d'Athènes      

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Lamartine, Méditations Poétiques, « La mort de Socrate »

Quoique ce morceau porte le nom de Socrate, on y sent cependant déjà une philosophie plus avancée, et comme un avant-goût du christianisme près d’éclore.
Socrate avait combattu toute sa vie cet empire des sens que le Christ venait renverser ; sa philosophie était toute religieuse… ; elle avait deviné l’unité de Dieu, l’immortalité de l’âme plus encore… Il était inspiré, il était un précurseur de cette révélation définitive que Dieu préparait de temps en temps par des révélations partielles.
La mort de Socrate est certainement ce que j’estime le plus de ce que j’ai fait.
                                

Lamartine


La mort de Socrate 

Comme l’œil sur les mers suit la voile qui part,
Sur ce front solennel attachant leur regard,
À ses yeux suspendus, ne respirant qu’à peine,
Ses amis attentifs retenaient leur haleine ;
Leurs yeux le contemplaient pour la dernière fois.
Ils allaient pour jamais emporter cette voie !
Comme la vague impatiente attendait sa parole.
Enfin du ciel sur eux son regard s’abaissa,
Et lui, comme autrefois, sourit et commença :
« Quoi ! vous pleurez, amis ! vous pleurez quand mon âme,
Semblable au pur encens que la prêtresse enflamme,
Affranchie à jamais du vil poids de son corps,
Va s’envoler aux dieux, et, dans de saints transports,
Saluant ce jour pur, qu’elle entrevit peut-être,
Chercher la vérité, la voir et la connaître !
Pourquoi donc vivons-nous, si ce n’est pour mourir ?
Pourquoi pour la justice ai-je aimé de souffrir ?
Pourquoi dans cette mort qu’on appelle la vie,
Contre ses vils penchants luttant, quoique asservie,
Mon âme avec mes sens a-t-elle combattu ?
Sans la mort, mes amis, que serait la vertu ?
C’est le prix du combat, la céleste couronne
Q’aux bornes de la course un saint juge nous donne,
La voix de Jupiter qui nous rappelle à lui !
Amis, bénissons-la ! Je l’entends aujourd’hui :
je pouvais, de mes jours disputant quelque reste,
Me faire répéter deux fois l’ordre céleste.
Me préservent les dieux d’en prolonger le cours !
En esclave attentif, ils m’appellent, j’y cours !
Et vous, si vous m’aimez, comme aux plus belles fêtes,
Amis, faites couler des parfums sur vos têtes,
Suspendez une offrande aux murs de la prison,
Et, le front couronné d’un verdoyant feston,
Ainsi qu’un jeune époux qu’une foule empressée,
Semant de chastes fleurs le seuil du gynécée,
Vers le lit nuptial conduit après le bain,
Dans le bras de la Mort menez-moi par la main !
« Qu’est-ce donc que mourir ? Briser ce nœud infâme,
Cet adultère hymen de la terre avec l’âme,
D’un vil poids, à la tombe, enfin se décharger !
Mourir n’est pas mourir, mes amis, c’est changer !
Tant qu’il vit, accablé sous le corps qui l’enchaîne,
L’homme vers le vrai bien languissamment se traîne,
Et, par ses vils besoins dans sa course arrêté,
Suit d’un pas chancelant, ou perd la vérité.
Mais celui qui, touchant au terme qu’il implore,
Voit du jour éternel étinceler l’aurore,
Comme un rayon du soir remontant dans les cieux,
Exilé de leur sein, remonte au sein des dieux ;
Et, buvant à longs traits le nectar sui l’enivre,
Du jour de son trépas il commence de vivre ! »
« – Mais mourir c’est souffrir ; et souffrir est un mal.
– Amis, qu’en savons-nous ? Et quand l’instant fatal,
Consacré par le sang comme un grand sacrifice,
Pour ce corps immolé serait un court supplice,
N’est-ce pas par un mal que tout est produit ?
L’été sort de l’hiver, le jour sort de la nuit.
Dieu lui-même a noué cette éternelle chaîne ;
Nous fûmes à la vie enfantés avec peine,
Et cet heureux trépas, des faibles redoutés,
N’est qu’un enfantement à l’immortalité ! »

Socrate raisonne longuement avec « l’incrédule Cébès » pour le convaincre de l’immortalité de l’âme.

Il conclut en ces termes : flambeau de la vie,
En vain la lyre meurt et le son s’évapore :
Sur ces débris muets l’oreille écoute encore.
Es-tu content, Cébès ? _ Oui, j’en crois tes adieux,
Socrate est immortel ! _ Eh bien, parlons des dieux ! »
Et déjà le soleil était sur les montagnes,
Et, rasant d’un rayon les flots des campagnes,
Semblait, faisant au monde un magnifique adieu,
Aller se rajeunir au sein brillant de Dieu ;
Les troupeaux descendaient des sommets du Taygète ;
L’ombre dormait déjà sur les flancs de l’Hymette ;
Le Cythéron nageait dans un océan d’or ;
Le pêcheur matinal, sur l’onde errant encor,
Modérant près du bord sa course suspendue,
Repliait, en chantant, sa voile détendue ;
La flûte dans les bois, et ces chants sur les mers,
Arrivaient jusqu’à nous sur les soupirs des airs,
Et venaient se mêler à nos sanglots funèbres,
Comme un rayon du soir se fond dans les ténèbres.
« Hâtons-nous, mes amis, voici l’heure du bain.
Esclaves, versez l’eau dans le vase d’airain !
Je veux offrir aux dieux une victime pure. »
Il dit ; et, se plongeant dans l’urne qui murmure,
Comme fait à l’autel le sacrificateur,
Il puisa dans ses mains le flot libérateur,
Et, le versant trois fois sur son front qui l’inonde,
Trois fois sur sa poitrine en fit ruisseler l’onde ;
Puis, d’un voile de pourpre en essuyant les flots,
Parfuma ses cheveux, et reprit en ces mots :
« Nous oublions le Dieu pour adorer ses traces.
Me préserve Apollon de blasphémer les Grâces,
Hébé versant la vie aux célestes lambris
Le carquois de l’Amour, ni l’écharpe d’Iris,
Qui d’un nœud sympathique enchaîne la nature,
Ni l’éternel Saturne, ou le grand Jupiter,
Ni tous ces dieux du ciel, de la terre et de l’air !
Tous ces êtres peuplant l’Olympe ou l’Elysée
Sont l’image de Dieu par nous divinisée,
Des lettres de son nom sur la nature écrit,
Une ombre que ce Dieu jette sur notre esprit.
À ce titre divin ma raison les adore,
Comme nous saluons le soleil dans l’aurore ;
Et peut-être qu’enfin tous ces dieux inventés
Cet enfer et ce ciel par la lyre chantés ;
Ne sont pas seulement des songes du génie,
Mais les brillants degrés de l’échelle infinie
Qui, des êtres semés dans ce vaste univers
Sépare et réunit tous les astres divers.
Peut-être qu’en effet, dans l’immense étendue,
Dans tout ce qui se meut une âme est répandue ?
Que ces astres brillants sur nos têtes semés
Sont des soleils vivants et des feux animés ?
Que l’Océan, frappant sa rive épouvantée,
Avec ses flots grondants roule une âme irritée ?
Que notre air embaumé volant dans un ciel pur
Est un esprit flottant sur des ailes d’azur ?
Que le jour est un œil qui répand la lumière ?
La nuit, une beauté qui voile sa paupière ?
Et qu’enfin dans le ciel, sur la terre, en tout lieu,
Tout est intelligent, tout vit, tout est un dieu ?
« Mais, croyez-en, mais, ma voix prête à s’éteindre :
Par delà tous ces dieux que notre œil peu atteindre,
Il est sous la nature, il est au fond des cieux,
Quelque chose d’obscur et de mystérieux
Que la nécessité, que la raison proclame,
Et que voit seulement la foi, cet œil de l'âme!
Contemporain des jours et de l'éternité !
Grand comme l’infini seul comme l'unité !
Impossible à nommer, à nos sens impalpable !
Son premier attribut, c’est d’être inconcevable !
Dans les lieux, dans les temps, hier, demain, aujourd’hui,
Descendons, remontons, nous arrivons à lui!
Tout ce que nous pensons est sa sublime essence!
Force, amour, vérité, créateur de tout bien,
C’est le Dieu de vos dieux ! C’est le seul ! c’est le mien !
« – Mais le mal, dit Cébès, qui l’a créé ? _ Le crime:
Des coupables mortels châtiment légitime,
Sur ce globe déchu le mal et le trépas
Sont nés le même jour : Dieu ne les connaît pas !
Soit qu’un attrait fatal, une coupable flamme
Ait attiré jadis la matière vers l’âme ;
Soit plutôt que la vie, en des nœuds trop puissants
Resserrant ici-bas l’esprit avec les sens,
Les pénètre tous deux d’un amour adultère,
Ils ne sont réunis que par un grand mystère.
Cette horrible union, c’est le mal; et la mort,
Remède et châtiment suprême où cet hymen expire,
Sur les vils éléments l’âme reprend l’empire,
Et s’envole, aux rayons de l’immortalité,
Au monde du bonheur et de la vérité !
« – Connais-tu le chemin de ce monde invisible ?
Dit Cébès ; à ton œil est-il donc accessible ?
– Mes amis, j’en approche ; et pour le découvrir
– Que faut-il ? dit Phédon. – Être pur et mourir ! »


 

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