Quatre moments de la passion amoureuse : Sénèque, Catulle, Tibulle, Virgile

 

Documents : postérité du mythe d'Ariane

 

Charles Guérin (1873-1907) , Le cœur solitaire, XXXII

Je t'apporte, buisson de roses funéraires,
ces vers, à toi déjà lointaine et presque morte,
ô douloureuse enfant qui passes dans mes rêves ;
moi qui t'ai vue heureuse et belle, je t'apporte
ces vers, comme un bouquet de lys sur ta beauté.
Tu sus trop tôt que l' homme est âprement mauvais,
et le sel de la vie à ta bouche est resté.
Ton sourire autrefois s'ouvrait en ciel de mai,
et les voiles de tes paupières renfermaient
des prunelles d'azur pareilles sous les cils
à des vierges en fleur dans l'ombre nuptiale.
Et quelqu'un te laissa solitaire, Ariane
sur la grève, vouée à l'éternel exil !
La chaude volupté qui couvait dans ta chair
trempait d'un flot de pourpre ardente et magnifique
ton teint si délicat qu'il semblait tissé d'air,
et ton âme faisait frémir tes lèvres fines.
Je t'ai secrètement aimée, ô pauvre fille,
dans tes heures de joie, à tes heures de peine
surtout, et j'ai pitié de toi puisque je t'aime.
Ces vers voudraient pleurer la splendeur de ton corps
qui ne connaîtra pas l'amour : accepte-les,
et dans ton morne exil sois longtemps belle encor,
comme un joyau royal dans un coffre scellé.
Adieu, tu ne peux pas m'aimer, tu ne dois pas
savoir... j'aurais voulu m'endormir dans tes bras.
Hélas ! Il faut pourtant recommencer à vivre !
Adieu, mélancolique enfant, âme automnale,
ciel du soir traversé de colombes plaintives,
ô belle et douce et pure et solitaire femme.



André Gide, Thésée (1946), chap. XI

Durant tout le repas, Ariane me pressa du genou sous la nappe ; mais c'est surtout la chaleur que dégageait la jeune Phèdre qui me troublait. Cependant que Pasiphaé, la reine, en face de moi, me dévorait tout cru du regard. (...)
Certains m'ont reproché par la suite ma conduite envers Ariane. Ils m'ont dit que j'avais agi lâchement ; que je n'aurais pas dû l'abandonner, ou tout au moins pas sur une île. Voire ; mais je tenais à mettre la mer entre nous. Elle me poursuivait, me pourchassait, me traquait. Quand elle eut éventé ma ruse, découvert sa soeur sous le revêtement de Glaucos, elle mena grand raffut, poussa force cris rythmés, me traita de perfide, et lorsque, excédé, je lui déclarai mon intention de ne pas l'emmener plus loin que le premier îlot où le vent, qui s'était soudain levé, nous permettrait ou nous forcerait de faire escale, elle me menaça d'un long poème qu'elle se proposait d'écrire au sujet de cet infâme abandon. Je lui dis aussitôt qu'elle ne pourrait certainement rien faire de mieux ; que ce poème promettait d'être très beau, si j'en pouvais juger déjà par sa fureur et par ses accents lyriques ; qu'il serait, au surplus, consolatoire, et qu'elle ne laisserait pas d'y trouver la récompense de son chagrin. Mais tout ce que je disais n'aidait qu'à l'irriter davantage. Ainsi sont les femmes dès qu'on cherche à leur faire entendre raison. Quant à moi, je me laisse toujours guider par un instinct que, pour plus de simplicité, je crois sûr.
Cet îlot fut Naxos. L'on dit que, quelque temps après que nous l'y eûmes laissée, Dionysos vint l'y rejoindre et qu'il l'épousa ; ce qui peut être une façon de dire qu'elle se consola dans le vin. L'on raconte que, le jour de ses noces, le dieu lui fit cadeau d'une couronne, oeuvre d'Héphaïstos, laquelle figure parmi les constellations ; que Zeus l'accueillit sur l'Olympe, lui conférant l'immortalité. On la prit même, raconte-t-on, pour Aphrodite. Je laissai dire et moi-même, pour couper court aux rumeurs accusatrices, la divinisai de mon mieux, instituant à son égard un culte où d'abord je pris la peine de danser. Et l'on me permettra de remarquer que, sans mon abandon, ne fût advenu rien de tout cela, si avantageux pour elle.

   

 

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Responsable pédagogique et contact FR : G. Cherqui

Editrice de la leçon : S. Van Esch , relecture et compléments : V.Guyot
Dernière mise à jour : 27 mars 2005