TITE-LIVE : La seconde guerre punique Hannibal |
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TEXTE N°2 : Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 26 - 28 et 32 - 33 "Une campagne difficile : la traversée du Rhône et le passage des Alpes" |
Texte de M. E. PESSONEAUX, Oeuvres complètes de Tite-Live avec la traduction française de la Collection Panckoucke, t. III, Paris, Garnier, 1909.
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La traversée du Rhône 26. [...] Itaque ingens coacta uis nauium est lintriumque temere ad uicinalem usum paratarum ; nouasque alias primum Galli incohantes cauabant ex singulis arboribus, deinde et ipsi milites simul copia materiae, simul facilitate operis inducti, alueos informes, nihil dummodo innare aquae et capere onera possent curantes, raptim [quibus se suaque transueherent] faciebant. | La traversée du Rhône 26. [...]Une immense quantité de bateaux et de petites barques répandues çà et là pour la communication entre les deux rives fut promptement réunie. D'abord les Gaulois travaillaient seuls à la construction des barques, en creusant des troncs d'arbres ; bientôt les Carthaginois eux-mêmes mirent la main à l'oeuvre, encouragés à la fois par l'abondance des matériaux et par la facilité du travail ; ils formaient à la hâte des canots grossiers, susceptibles seulement de se soutenir sur les eaux, de recevoir les bagages, et de les transporter, eux et leurs effets. |
27. Iamque omnibus satis comparatis ad traiciendum terrebant ex aduerso hostes omnem ripam equites uirique obtinentes. Quos ut auerteret, Hannonem Bomilcaris filium uigilia prima noctis cum parte copiarum, maxime Hispanis, aduerso flumine ire iter unius diei iubet et, ubi primum possit quam occultissime traiecto amni, circumducere agmen ut cum opus facto sit adoriatur ab tergo hostes. Ad id dati duces Galli edocent inde milia quinque et uiginti ferme supra paruae insulae circumfusum amnem latiore ubi diuidebatur eoque minus alto alueo transitum ostendere. Ibi raptim caesa materia ratesque fabricatae [in quibus equi uirique et alia onera traicerentur]. Hispani sine ulla mole in utres uestimentis coniectis ipsi caetris superpositis incubantes flumen tranauere. Et alius exercitus ratibus iunctis traiectus, castris prope flumen positis, nocturno itinere atque operis labore fessus quiete unius diei reficitur, intento duce ad consilium opportune exsequendum. Postero die profecti, ex loco edito fumo significant transisse et haud procul abesse ; quod ubi accepit Hannibal, ne tempori deesset dat signum ad traiciendum. Iam paratas aptatasque habebat pedes lintres, eques fere propter equos naves. Nauium agmen ad excipiendum aduersi impetum fluminis parte superiore transmittens tranquillitatem infra traicientibus lintribus praebebat ; equorum pars magna nantes loris a puppibus trahebantur, praeter eos [quos instratos frenatosque ut extemplo egresso in ripam equiti usui essent imposuerant in naues]. | 27. Déjà tout était à peu près disposé pour le passage ; mais on voyait avec effroi toute la rive opposée couverte de guerriers et de chevaux. Afin de les en déloger, Hannibal détache, à la première veille de la nuit, Hannon, fils de Bomilcar, avec un corps de troupes, la plupart espagnoles : il devra remonter le fleuve pendant un jour entier ; dès qu'il lui sera possible, le traverser dans le plus grand secret, et tourner l'ennemi, de façon à tomber, lorsqu'il en sera temps, sur son arrière-garde. Les Gaulois qu'on lui a donnés pour guides lui apprennent qu'à environ vingt-cinq milles au-dessus le Rhône se partage pour former une petite île, et que là, plus large et partant moins profond, il peut offrir un passage. Là, on s'empressa d'abattre du bois, de construire des radeaux pour le transport des hommes, des chevaux et des bagages. Les Espagnols, sans aucune charge, jetèrent leurs vêtements sur des outres, se placèrent eux-mêmes sur leurs boucliers et traversèrent le fleuve. Le reste de l'armée passa sur des radeaux que l'on avait joints, et vint camper près du fleuve. La marche nocturne et les travaux du jour l'avaient fatiguée ; elle prend vingt-quatre heures de repos : Hannon avait à coeur de suivre ponctuellement les instructions d'Hannibal. Le lendemain, il se met en marche, et des feux allumés annoncent qu'il a effectué le passage, et qu'il se trouve assez près des Volques. À cette vue, Hannibal, pour profiter de la circonstance, donne le signal de l'embarquement. Déjà l'infanterie avait ses canots prêts et disposés. Les cavaliers montaient les plus fortes barques, et conduisaient près d'eux leurs chevaux à la nage : ainsi rangés en première ligne, ils rompaient d'abord l'impétuosité du courant, et rendaient la traversée facile aux esquifs qui venaient après eux. La majeure partie des chevaux, conduite avec une courroie, du haut de la poupe, traversait à la nage ; l'on avait embarqué les autres sellés et bridés, pour servir à l'instant même où l'on aborderait. |
La traversée du Rhône par... les éléphants | La traversée du Rhône par... les éléphants |
28. [...] Elephantorum traiciendorum uaria consilia fuisse credo ; certe uariata memoria actae rei. Quidam congregatis ad ripam elephantis tradunt ferocissimum ex iis inritatum ab rectore suo, cum refugientem in aquam nantem sequeretur, traxisse gregem, ut quemque timentem altitudinem destitueret uadum, impetu ipso fluminis in alteram ripam rapiente. Ceterum magis constat ratibus traiectos ; id ut tutius consilium ante rem foret, ita acta re ad fidem pronius est. Ratem unam ducentos longam pedes, quinquaginta latam a terra in amnem porrexerunt, [quam, ne secunda aqua deferretur, pluribus ualidis retinaculis parte superiore ripae religatam pontis in modum humo iniecta constrauerunt] ut beluae audacter uelut per solum ingrederentur. Altera ratis aeque lata, longa pedes centum, ad traiciendum flumen apta, huic copulata est ; tres tum elephanti per stabilem ratem tamquam uiam praegredientibus feminis acti ubi in minorem adplicatam transgressi sunt, extemplo resolutis [quibus leuiter adnexa erat] uinculis, ab actuariis aliquot nauibus ad alteram ripam pertrahitur ; ita primis expositis, alii deinde repetiti ac traiecti sunt. Nihil sane trepidabant, donec continenti uelut ponte agerentur ; primus erat pauor cum soluta ab ceteris rate in altum raperentur. Ibi urgentes inter se, cedentibus extremis ab aqua, trepidationis aliquantum edebant donec quietem ipse timor circumspectantibus aquam fecisset. Excidere etiam saeuientes quidam in flumen ; sed pondere ipso stabiles, deiectis rectoribus, quaerendis pedetemptim uadis in terram euasere. | 28. [...] On employa, je pense, divers moyens pour passer les éléphants ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'ici les historiens varient beaucoup. Quelques-uns prétendent qu'à l'instant où les éléphants étaient rassemblés sur la rive, le plus furieux de ces animaux, irrité par son cornac qui se jeta à la nage, comme pour éviter sa colère, s'élança à sa poursuite, et attira ainsi le reste de la troupe ; et qu'à mesure que chacun d'eux perdit pied, il fut, malgré sa frayeur pour les eaux profondes, entraîné à l'autre bord par le courant même. Toutefois il paraît plus constant qu'on les fit passer sur des radeaux ; c'était le parti le plus sûr, et il est probable qu'on le prit effectivement. Un radeau de deux cents pieds de long, sur cinquante de large, partait du rivage et s'avançait dans le fleuve : pour qu'il ne fût point emporté par le courant, plusieurs câbles très forts le fixèrent à la partie supérieure de la rive ; on le couvrit de terre, et l'on en fit une espèce de pont, qui présentait une surface immobile, afin que les éléphants pussent y marcher hardiment. Un autre radeau de même largeur, long de cent pieds, destiné à traverser le fleuve fut joint au premier ; et lorsque les éléphants, précédés de leurs femelles, étaient passés du radeau qui leur offrait la solidité d'une véritable route, sur celui qui s'y trouvait attaché, aussitôt on rompait les faibles liens qui retenaient celui-ci, et quelques vaisseaux légers l'entraînaient vers l'autre bord : ainsi l'on débarqua les premiers éléphants, et successivement toute leur troupe. Ils n'éprouvaient aucune frayeur, tant qu'ils étaient sur cette sorte de pont assez ferme ; mais ils commençaient à témoigner de la crainte lorsqu'on détachait le second radeau qui les entraînait au milieu du fleuve. Alors ils se serraient les uns contre les autres ; et, comme ceux qui étaient aux deux extrémités reculaient à la vue des flots, il y avait quelques moments d'agitation que la peur même apaisait bientôt, alors qu'ils se voyaient environnés d'eau de toutes parts. Quelques-uns cependant se laissèrent tomber à force de se débattre, et renversèrent leurs cornacs ; mais leur masse même les soutint : peu à peu ils trouvèrent pied, et finirent par gagner la terre. |
Le passage des Alpes... | Le passage des Alpes... |
32. Hannibal ab Druentia campestri maxime itinere ad Alpes cum bona pace incolentium ea loca Gallorum peruenit. Tum, quamquam fama prius, [qua incerta in maius uero ferri solent], praecepta res erat, tamen ex propinquo uisa montium altitudo niuesque caelo prope immixtae, tecta informia imposita rupibus, pecora iumentaque torrida frigore, homines intonsi et inculti, animalia inanimaque omnia rigentia gelu, cetera uisu quam dictu foediora terrorem renouarunt. [...] | 32. Hannibal, après le passage de la Durance, gagna les Alpes presque toujours par des pays de plaines, où les habitants n'entravèrent point sa marche. Mais une fois au pied des montagnes, quoique la renommée, qui ordinairement exagère les objets inconnus, eût d'avance prévenu les esprits, lorsque l'oeil put voir de près la hauteur des monts, les neiges qui semblaient se confondre avec les cieux, les huttes grossières suspendues aux pointes des rochers, les chevaux, le bétail paralysés par le froid, les hommes sauvages et hideux, les êtres vivants et la nature inanimée presque entièrement engourdis par la glace, cette scène d'horreur, plus affreuse encore à contempler qu'à décrire, renouvela les terreurs de l'armée. Des montagnards occupent le défilé, il semble impossible de forcer le passage ; c'est par la ruse qu'Hannibal, profitant du sommeil des guerriers qui, trop sûrs d'eux, ont quitté leur poste, occupe les hauteurs avec ses meilleurs hommes. |
33. Prima deinde luce castra mota et agmen reliquum incedere coepit. Iam montani signo dato ex castellis ad stationem solitam conueniebant, cum repente conspiciunt alios arce occupata sua super caput imminentes, alios uia transire hostes. Utraque simul obiecta res oculis animisque immobiles parumper eos defixit ; deinde, ut trepidationem in angustiis suoque ipsum tumultu misceri agmen uidere, equis maxime consternatis, [quidquid adiecissent] ipsi terroris satis ad perniciem fore rati, peruersis rupibus iuxta, inuia ac deuia adsueti decurrunt. Tum uero simul ab hostibus, simul ab iniquitate locorum Poeni oppugnabantur plusque inter ipsos, sibi quoque tendente ut periculo primus euaderet, quam cum hostibus certaminis erat. Et equi maxime infestum agmen faciebant, [qui et clamoribus dissonis [quos nemora etiam repercussaeque ualles augebant] territi trepidabant, et icti forte aut uolnerati adeo consternabantur], ut stragem ingentem simul hominum ac sarcinarum omnis generis facerent ; multosque turba, cum praecipites deruptaeque utrimque angustiae essent, in immensum altitudinis deiecit, quosdam et armatos ; et ruinae maxime modo iumenta cum oneribus deuoluebantur. Quae quamquam foeda uisu erant, stetit parumper tamen Hannibal ac suos continuit, ne tumultum ac trepidationem augeret ; deinde, postquam interrumpi agmen uidit periculumque esse, ne exutum impedimentis exercitum nequiquam incolumem traduxisset, decurrit ex superiore loco et, cum impetu ipso fudisset hostem, suis quoque tumultum auxit. Sed is tumultus momento temporis, postquam liberata itinera fuga montanorum erant, sedatur, nec per otium modo sed prope silentio mox omnes traducti. |
33. Le lendemain, au point du jour, on lève le camp, et le reste de l'armée se met en marche. Déjà les montagnards, à un signal donné, sortaient de leurs forts pour prendre leur poste ordinaire, quand tout à coup ils aperçoivent, au dessus de leurs têtes, une partie des Carthaginois maîtres de leur citadelle, et l'autre qui s'avance le long du chemin. D'abord ce double spectacle, qui frappe et leurs regards et leurs esprits, les retient quelque temps immobiles ; mais bientôt ils ont vu l'embarras des troupes dans le défilé, leur effroi, et surtout la confusion que les chevaux épouvantés jetaient parmi les rangs. Persuadés que le moindre surcroît de terreur suffirait pour perdre leurs ennemis, ils s'élancent faisant basculer les rochers les plus proches, par l'habitude qu'ils ont de se jouer également des hauteurs et des pentes les plus difficiles. Alors harcelés par les barbares, obligés de lutter contre les difficultés du terrain, les Carthaginois avaient encore à soutenir contre eux-mêmes un choc plus violent que celui des montagnards, par les efforts que chacun faisait pour échapper le premier au péril. Mais les chevaux principalement troublaient la marche : frappés des cris confus que répétait cent fois l'écho des bois et des vallons, ils s'agitaient tout tremblants ; et, s'ils venaient à être frappés où blessés, c'était une frayeur si vive qu'ils renversaient çà et là hommes et bagages de toute espèce. Comme ce défilé était bordé des deux côtés de précipices immenses, ils firent en se débattant, rouler au fond de l'abîme plusieurs hommes tout armés ; mais on eût dit le fracas d'un vaste écroulement, lorsque les bêtes tombaient avec leur charge. Ce spectacle était affreux ! Cependant Hannibal reste quelque temps sur sa hauteur avec son détachement, pour ne point augmenter l'embarras et le tumulte ; mais, lorsqu'il voit ses troupes coupées et le danger qu'il court de perdre ses bagages, ce qui eût entraîné la ruine de son armée, il descend, fond sur l'ennemi, et l'a bientôt chassé. Toutefois ce mouvement a causé un nouveau trouble parmi les siens ; mais un instant suffit pour le dissiper, dès que les chemins sont dégagés par la fuite des montagnards : les Carthaginois défilent alors tranquillement et presque en silence. |
Les noms propres sont indiqués dans EXPLICATIONS La traversée du Rhône cogo, is, ere, coegi, coactum : rassembler La traversée du Rhône par... les éléphants
Le passage des Alpes
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Les points de grammaire importants font l'objet d'une fiche de grammaire.
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Druentia, ae, f : la Durance est un affluent du Rhône (le confluent se situe près d'Avignon). Cf. carte. Tite-Live, Histoires, XXI,31, décrit ainsi ce fleuve au moment où les troupes d'Hannibal le traversent :
Ratem unam ducentos longam pedes, quinquaginta latam / Altera ratis aeque lata, longa pedes centum : un pied correspond à 32, 4 cm. Hannon (Hanno, onis, m) et Bomilcar (Bomilcar, aris, m) sont des généraux carthaginois. inde milia quinque et uiginti ferme supra : Hannon et ses hommes semblent avoir traversé à la hauteur de Pont-Saint-Esprit. Le mille correspond à "mille pas" : 1472,5 m. Quos ut auerteret, Hannonem Bomilcaris filium uigilia prima noctis cum parte copiarum, maxime Hispanis, aduerso flumine ire iter unius diei iubet et, ubi primum possit quam occultissime traiecto amni, circumducere agmen ut cum opus facto sit adoriatur ab tergo hostes : peut-être un exemple de la perfidia punica d'Hannibal ! Hispanus, a, um : espagnol, de l'Hispanie (Hispani, orum = les Hispaniens). C'est une des stratégies d'Hannibal, dont l'armée est essentiellement composée de mercenaires (mercede paratos milites, texte 6) de multiples nationalités, de laisser combattre chaque nation à sa manière. Régulièrement, Tite-Live signale ces particularités. Lire, par exemple, pour les Espagnols encore, XXI, 47, ou Les Baléares, XXI, 55 Gallus, i, m. : Gaulois. Les Gaulois, du reste peu favorables à la république romaine, ont souvent préféré favoriser le passage d'Hannibal pour éviter d'être eux-mêmes écrasés par son armée. Alpes, ium, f. : les Alpes. L'itinéraire exact d'Hannibal est encore incertain.
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