TITE-LIVE : La seconde guerre punique

Hannibal

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TEXTE N°3 : Tite-Live, Histoire romaine, XXII, 6 - 7

"Le désastre de Trasimène"

INTRODUCTION

 

Traduction d'Eugène LASSERRE, Tite-Live, Histoire romaine, t. IV, Paris, Garnier, 1937

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6. Tres ferme horas pugnatum est et ubique atrociter ; circa consulem tamen acrior infestiorque pugna est. Eum et robora uirorum sequebantur et ipse, [quacumque in parte premi ac laborare senserat suos], impigre ferebat opem, insignemque armis et hostes summa ui petebant et tuebantur ciues, donec Insuber eques - Ducario nomen erat - facie quoque noscitans consulem, en, inquit, hic est popularibus suis, [qui legiones nostras cecidit agrosque et urbem est depopulatus ; iam ego hanc uictimam manibus peremptorum foede ciuium dabo. Subditisque calcaribus equo per confertissimam hostium turbam impetum facit obtruncatoque prius armigero, [qui se infesto uenienti obuiam obiecerat], consulem lancea transfixit ; spoliare cupientem triarii obiectis scutis arcuere. Magnae partis fuga inde primum coepit ; et iam nec lacus nec montes pauori obstabant ; per omnia arta praeruptaque uelut caeci euadunt, armaque et uiri super alium alii praecipitantur. Pars magna, [ubi locus fugae deest], per prima uada paludis in aquam progressi, quoad capitibus umeris exstare possunt, sese immergunt ; fuere [quos inconsultus pauor nando etiam capessere fugam impulerit] ; quae ubi immensa ac sine spe erat, aut deficientibus animis hauriebantur gurgitibus aut nequiquam fessi uada retro aegerrime repetebant atque ibi ab ingressis aquam hostium equitibus passim trucidabantur. Sex milia ferme primi agminis per aduersos hostes eruptione impigre facta, ignari omnium [quae post se agerentur], ex saltu euasere et, cum in tumulo quodam constitissent, clamorem modo ac sonum armorum audientes, quae fortuna pugnae esset neque scire nec perspicere prae caligine poterant. Inclinata denique re, cum incalescente sole dispulsa nebula aperuisset diem, tum liquida iam luce montes campique perditas res stratamque ostendere foede Romanam aciem. Itaque ne in conspectos procul immitteretur eques, sublatis raptim signis quam citatissimo poterant agmine sese abripuerunt. Postero die cum super cetera extrema fames etiam instaret, fidem dante Maharbale, [qui cum omnibus equestribus copiis nocte consecutus erat], si arma tradidissent, abire cum singulis uestimentis passurum, sese dediderunt ; quae Punica religione seruata fides ab Hannibale est atque in uincula omnes coniecti.

7. Haec est nobilis ad Trasumennum pugna atque inter paucas memorata populi Romani clades. Quindecim milia Romanorum in acie caesa sunt ; decem milia sparsa fuga per omnem Etruriam auersis itineribus urbem petiere ; duo milia quingenti hostium in acie, multi postea utrimque ex uolneribus periere. Multiplex caedes utrimque facta traditur ab aliis ; ego praeterquam quod nihil auctum ex uano uelim, [quo nimis inclinant ferme scribentium animi], Fabium, aequalem temporibus huiusce belli, potissimum auctorem habui. Hannibal captiuorum [qui Latini nominis essent] sine pretio dimissis, Romanis in uincula datis, segregata ex hostium coaceruatorum cumulis corpora suorum cum sepeliri iussisset, Flamini quoque corpus funeris causa magna cum cura inquisitum non inuenit.

6. On se battit à peu près trois heures, et partout avec fureur ; c'est pourtant autour du consul que la lutte fut la plus vive et la plus acharnée. C'était lui que suivait l'élite des soldats, et lui-même, partout où il s'apercevait que les siens étaient pressés et à la peine, il leur portait secours activement ; son armure le faisant remarquer, les ennemis mettaient plus de violence à l'attaquer, et ses concitoyens à le défendre, jusqu'au moment où un cavalier Insubrien - il s'appelait Ducarius - reconnaissant le consul à ses traits aussi, dit à ses compatriotes : voici l'homme qui a taillé nos légions en pièces et ravagé nos champs et notre ville. Maintenant, je vais, moi, l'offrir comme victime aux mânes de nos concitoyens indignement massacrés ; puis, donnant de l'éperon à son cheval, à travers la foule la plus serrée des ennemis, il s'élance, et, après avoir décapité l'écuyer qui s'était jeté devant sa marche menaçante, il transperce le consul de sa lance ; comme il voulait le dépouiller, les triaires, en lui opposant leurs boucliers, le repoussèrent. Un grand nombre de Romains, après cela, commença à fuir ; et bientôt ni lac ni montagnes n'étaient un obstacle à la peur ; à travers défilés, escarpements de toutes sortes, aveuglément, ils s'échappent ; tout armés, les hommes se précipitent les uns sur les autres. Beaucoup, là où il n'y a pas d'endroit pour fuir, s'avançant dans l'eau au bord peu profond du marais, s'y enfoncent jusqu'à ce que leurs têtes et leurs épaules dépassent seules. Il y en eut qu'une peur irréfléchie poussa à prendre la fuite même à la nage ; quand ils voyaient que cette façon de fuir était sans fin et sans espoir, ou, le courage leur manquant, ils étaient engloutis par un gouffre, ou, après s'être fatigués en vain, ils regagnaient avec beaucoup de peine les hauts fonds, ou les cavaliers ennemis, entrés dans l'eau, les massacraient çà et là. Environ six mille hommes de la tête de la colonne, perçant énergiquement à travers les ennemis qui leur étaient opposés, sans rien savoir de ce qui se passait derrière eux, s'échappèrent du défilé, et, s'étant arrêtés sur une hauteur, d'où ils n'entendaient que les cris et le bruit des armes, ne pouvaient ni savoir quel était le sort du combat, ni le voir, à cause de l'obscurité. Enfin, l'affaire une fois décidée, comme le brouillard, dissipé par la chaleur du soleil, avait laissé paraître le jour, à sa claire lumière, les monts et la plaine leur montrèrent le désastre, et les lignes romaines indignement abattues. Aussi, dans la crainte qu'en les apercevant au loin, on n'envoyât contre eux la cavalerie, arrachant promptement de terre leurs enseignes, ils s'esquivèrent le plus vite possible. Le lendemain, comme, entre autres difficultés, une faim extrême les pressait, Maharbal, qui, avec toutes les troupes de cavalerie, les avait rejoints pendant la nuit, leur donnant sa parole que, s'ils livraient leurs armes, il les laisserait aller avec le vêtement qu'ils portaient, ils se rendirent ; mais cette promesse, Hannibal l'observa avec la foi punique, et tous furent jetés dans les fers.

7. Telle fut la fameuse bataille de Trasimène, et l'une des rares défaites mémorables du peuple romain. Quinze mille Romains furent tués dans le combat ; dix mille, dispersés par la fuite à travers toute l'Étrurie, gagnèrent Rome par les chemins les plus divers ; deux mille cinq cents ennemis périrent dans la bataille, beaucoup, par la suite, de leurs blessures. Il y eut un grand carnage de part et d'autre, à ce que rapportent certains ; pour moi, outre mon désir de ne rien grossir sans raison, défaut auquel n'inclinent que trop, en général, les historiens, j'ai considéré que c'était à Fabius, contemporain de cette guerre, que je devais me fier de préférence. Hannibal, après avoir renvoyé sans rançon les prisonniers de nom latin, et fait enchaîner les Romains, ayant ordonné de séparer, des tas de cadavres ennemis amoncelés, les corps des siens, et de les ensevelir, fit rechercher aussi avec le plus grand soin, pour l'honorer de funérailles, le corps de Flaminius, mais sans le trouver.

 

GRAMMAIRE
EXPLICATIONS

 

VOCABULAIRE

Les noms propres sont indiqués dans EXPLICATIONS
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ferme, adv. : à peu près, environ, généralement
ubique, adv. : partout
circa, prép + acc. : autour de
acer, cris, cre : vif, dur, violent.
infestus, a, um : ennemi, hostile (+ dat.)
robur, oris, n. : le rouvre, le chêne, la dureté, la solidité
sequor, eris, i, secutus sum : suivre, poursuivre
pars, partis, f. : partie, côté
premo, is, ere, pressi, pressum : presser, accabler, écraser
laboro, as, are : peiner, travailler, souffrir
sentio, is, ire, sensi, sensum : percevoir, s'apercevoir
impigre, adv. : avec diligence, rapidité, sans hésiter
ops, opis, f. : sing., pouvoir, aide ; pl., richesses
insignis, e : remarquable
peto, is, ere, petiui/ii, petitum : chercher à atteindre, attaquer ; demander
tueor, eris, eri, tuitus sum : protéger
donec, conj. + ind. : jusqu'à ce que
facies, ei, f. : l'apparence, la figure
noscito, as, are : reconnaître
en, suivi du nom. ou de l'acc. : voici
caedo, is, ere, cecidi, caesum : abattre, tuer
depopulor, aris, depopulari, depopulatus sum : dévaster, ravager
perimo, is, ere, peremi, peremptum : détruire, anéantir, tuer
foede, adv. : honteusement
subdo, is, ere, subdidi, subditum : soumettre, assujettir
calcar, aris, n. : l'éperon
confertus, a, um : entassé, serré, bondé
impetus, us, m. : mouvement en avant, élan, assaut
obtrunco, as, are : égorger, tuer
prius, adv. : avant, auparavant
armiger, era, erum : qui porte les armes
infestus, a, um : ennemi, hostile (+ dat.)
obuiam, adv. : sur le chemin, en route
obicio, is, ere, obieci, obiectum : jeter devant, placer devant
transfigo, is, ere, transfixi, transfixum : transpercer
spolio, as, are : piller, dépouiller
triarii, orum, m : triaires
scutum, i, n. : le bouclier
arceo, es, ere, arcui : contenir, retenir, empêcher
inde, adv. : de là, donc
pauor, oris, m. : peur
obsto, as, are, obstiti, obstaturus : faire obstacle à, gêner
artus, a, um : serré, étroit
praeruptum, i, n. : le précipice
uelut, adv. : comme
caecus, a, um : aveugle
euado, is, ere, euasi, euasum : s'échapper
uadum, i, n. : le bas-fond
palus, udis, f. : marais, étang
quoad, conj. : + subj. : tant que, aussi longtemps que
umerus, i, m. : l'épaule
exsto, as, are, exstiti, extatum : dépasser, exister, être visible
inconsultus, a, um : irréfléchi, irrationnel
no, as, are : nager
capesso, is, ere , capessiui, capessitum : chercher à prendre
impello, is, ere, impuli, impulsum : pousser à
haurio, is, ire, hausi, haustum : puiser, boire complètement
gurges, itis, m. : tourbillon, gouffre, creux
nequiquam, adv. : en vain, inutilement
aegerrime, adv. : avec beaucoup de peine, très mal
ingredior, eris, ingredii, ingressus sum : entrer dans, s'engager
passim, adv. : en tous sens ; à la débandade
trucido, as, are : égorger, massacrer, tuer
eruptio, ionis, f. : la sortie brusque
saltus, us, m. : les pâturages boisés
consisto, is, ere, constiti : se placer, s'établir
modo, adv. : seulement
perspicio, is, ere, perspexi, perspectum : examiner
prae, prép. + abl : devant, à cause de
caligo, inis, f. : le nuage
denique, adv. : enfin
incalesco, is, ere, incalui, - : s'échauffer
dispello, is, ere, dispuli, dispulsum : disperser
nebula, ae, f. : vapeur
aperio, is, ire, aperui, apertum : ouvrir, mettre au grand jour
perdo, is, ere, perdidi, perditum : détruire, ruiner, anéantir ; perdre
sterno, is, ere, stravi, stratum : étendre à terre, abattre, renverser, joncher, couvrir
ostendo, is, ere, ostendi, ostentum : tendre, montrer
acies, ei, f. : la ligne de bataille ; le regard
conspicio, is, ere, conspexi, conspectum : apercevoir
procul, adv. : loin, au loin, de loin
immitto, is, ere, immisi, immissum : envoyer dans, laisser aller, laisser flotter
signum, i, n. : le signe, l'enseigne, l'oeuvre d'art
tollo, is, tollere, sustuli, sublatum : soulever, élever ; enlever
raptim, adv. : précipitamment, à la hâte
citatus, a, um : rapide
agmen, inis, n. : l'armée en marche, la colonne de marche
abripio, is, ere, abripui, abreptum : arracher, enlever
posterus, a, um : suivant
fames, is, f. : faim
insto, as, are, institi, instatum : presser, insister
consequor, eris, consequi, consecutus sum : atteindre
singuli, ae, a : pl. chacun en particulier, chacun un
uestimentum, i, n. : le vêtement
patior, eris, pati, passus sum : supporter, subir
dedo, is, ere, dedidi, deditum : livrer, remettre
seruo, as, are : veiller sur, sauver
uinculum, i, n. : lien, chaîne
coniicio, is, ere, conieci, coniectum : jeter, faire entrer dans
clades, is, f. : blessure, perte, dommage, désastre militaire
spargo, is, ere, sparsi, sparsum : disperser, disséminer
auersus, a, um : détourné, hostile
utrimque, adv. : de part et d'autre
uulnus, eris, n : blessure
pereo, is, ire, ii, itum : périr
multiplex, icis : plus nombreux, qui a plusieurs éléments
caedes, is, f. : meurtre, massacre
caedo, is, ere, cecidi, caesum : abattre, tuer
utrimque, adv. : de part et d'autre
praeterquam, adv. : excepté, sauf
augeo, es, ere, auxi, auctum : augmenter, accroître, enrichir
uanus, a, um : vide, creux, vain, sans consistance
aequalis, e : du même âge
potissimus, a, um : le principal, le plus important, l'essentiel
auctor, oris, m. : le garant ; la source ; l'auteur, l'instigateur
dimitto, is, ere, dimisi, dimissum : renvoyer, laisser partir
uinculum, i, n. : lien, chaîne
segrego, as, are : écarter
coaceruo, as, are : entasser
cumulus, i, m. : amas, surplus, comble, couronnement
sepelio, is, ire, sepeliui (ii), sepultum : ensevelir, enterrer
funus, eris, n. : funérailles, ensevelissement ; mort, ruine
inquiro, is, ere, inquisiui, inquisitum : rechercher, chercher, découvrir


 

 

 

GRAMMAIRE

  • Au fil du texte :

pugnatum est : passif impersonnel

alium, alii : expression de la diversité "l'un... l'autre". Cf. le dictionnaire latin-français.

  • Les points de grammaire

Les points de grammaire importants font l'objet d'une fiche de grammaire.

    1. Emploi du gérondif et de l'adjectif verbal. Les expressions concernées sont écrites en rouge.
    2. Les propositions subordonnées relatives du texte sont signalées entre [crochets rouges]. Le relatif de liaison est écrit en rose. Attention : quae fortuna pugnae esset n'est pas une proposition relative mais une proposition interrogative indirecte dépendant de scire et perspicere.
    3. Les propositions subordonnées participiales, ou ablatifs absolus, sont écrites en vert.
    4. Les propositions surbordonnées infinitives sont en bleu.

 

EXPLICATIONS

Ce consul, c'est Caius Flaminius.

Les triaires sont un corps de vétérans de l'armée romaine, soldats très expérimentés qui formaient la troisième (tri-) ligne.

Insuber, bris : insubrien, insubre ; il s'agit d'un peuple gaulois de l'Italie du nord (capitale : Milan) allié des Carthaginois (comme tous les peuples de la Gaule cisalpine à l'exception des Cénomans). La phrase qui legiones nostras cecidit agrosque et urbem est depopulatus fait allusion à la victoire remportée sur eux par Flaminius en 223.

Ducarius, ii, m n'est pas un personnage connu.

Maharbal, alis, m (ou Maherbal) : lieutenant d'Hannibal, chef de la cavalerie.

Fabius, ii, m : il s'agit de l'historien Fabius Pictor.

Trasumennus, i, m (ou Trasumenus) : Le lac Trasimène : Cf. carte et documents.

quae Punica religione seruata fides ab Hannibale est : sur la perfidie punique, cf. texte 1

Flamini quoque corpus funeris causa magna cum cura inquisitum non inuenit : il peut paraître surprenant qu'Hannibal n'ait pas retrouvé le corps du consul, car il se livrait à un ramassage systématique des armes pour en équiper ses propres troupes. On explique cependant cet échec par le fait que c'est un Gaulois (cf. supra) qui a tué le consul, or les Gaulois avait pour coutume de décapiter leurs victimes, donc le consul était méconnaissable (les cadavres sont au nombre de 15 000).