Texte 2

Catulle, poème 64, 133 - 153 "Plaintes d'Ariane"

introduction

Ainsi donc, perfide, perfide Thésée, après m'avoir ravie aux autels de mon père, tu m'as laissée sur cette plage déserte ? Ainsi donc, au mépris de la puissance des dieux, (135) tu t'éloignes, plein d'ingratitude, hélas ! et tu retournes dans ta patrie, chargé du poids d'un parjure maudit ? Rien n'a donc pu fléchir le cruel dessein de ton esprit ! Nulle clémence n'était donc en toi pour que ton coeur impitoyable consentît à me prendre en pitié ! Ce ne sont pas là les promesses que m'avait faites (140) ta voix caressante, l'espoir dont tu berçais ta malheureuse amante, mais de joyeuses noces, mais un hymen objet de tous mes voeux... Frivoles promesses que les vents emportent dans les airs ! Qu'aucune femme désormais n'ajoute foi aux promesses d'un homme, n'espère entendre de la bouche d'un homme des paroles sincères ! (145) Quand ils sont embrasés du désir d'obtenir quelque chose, aucun serment ne leur coûte, aucune promesse ne les retient ; mais, une fois satisfaite la fantaisie de leur âme avide, ils n'hésitent pas devant les promesses, ils n'ont aucun souci des parjures.
"Et pourtant, c'est moi qui t'ai sauvé, lorsqu'une mort certaine tournait autour de toi ; (150) moi qui ai sacrifié mon propre frère, plutôt que d'abandonner un perfide comme toi en ce moment suprême. Pour prix de tant d'amour, me voici livrée, proie qu'ils vont dévorer, aux bêtes et aux oiseaux ; je vais mourir sans qu'un peu de terre soit jeté sur mes restes.

Sicine me patriis auectam, perfide, ab aris
perfide, deserto liquisti in litore, Theseu ?
sicine discedens neglecto numine diuum,
(135) immemor a ! deuota domum periuria portas ?
nullane res potuit crudelis flectere mentis
consilium ? tibi nulla fuit clementia praesto,
immite ut nostri uellet miserescere pectus?
at non haec quondam blanda promissa dedisti
(140) uoce mihi, non haec miserae sperare iubebas,
sed conubia laeta, sed optatos hymenaeos,
quae cuncta aereii discerpunt irrita uenti.
[ nunc iam nulla uiro iuranti femina credat,
nulla uiri speret sermones esse fideles
]
;
(145) [quis dum aliquid cupiens animus praegestit apisci,]
nil metuunt iurare, nihil promittere parcunt:
sed simul ac cupidae mentis satiata libido est,
dicta nihil metuere, nihil periuria curant.
certe ego te in medio uersantem turbine leti
(150) eripui, et potius germanum amittere creui,
quam tibi fallaci supremo in tempore dessem.
pro quo dilaceranda feris dabor alitibusque
praeda, neque iniacta tumulabor mortua terra.

Introduction

A la scène 3 de l'acte I de Phèdre, Racine fait prononcer à l'héroïne éponyme cette évocation célèbre du destin de la jeune princesse crétoise : "Ariane, ma soeur, de quel amour blessé...". Celle-ci avait tout trahi, tout quitté pour sauver son amant Thésée, le prince athénien qui, grâce à elle, avait vaincu le Minotaure et déjoué le piège du Labyrinthe... mais son séducteur l'avait abandonnée alors qu'elle dormait.

La légende a déjà été traitée de nombreuses fois, par Euripide entre autres, et par Apollonios de Rhodes, mais ici, c'est l'un des premiers maîtres du lyrisme latin, Catulle, qui s'adonne à une nouvelle "variation". "L'amant de Vérone" (sa ville natale), avait lui-même été trahi et bafoué à maintes reprises par sa Lesbie, mais c'est une femme abandonnée qu'il choisit de faire parler dans son poème 64, communément appelé l'« Epithalame de Thétis et Pelée » (censé être un poème officiel composé en l'honneur de leur mariage).

Ariane vient de s'éveiller : au moment où commence le passage, elle découvre à l'horizon la voile du navire de son amant qui fuit Naxos. Bien qu'il ne soit déjà plus en mesure de les entendre, c'est à lui qu'elle adresse ses plaintes...


 Grammaire : lien vers le précis grammatical

  • Les expressions entre crochets bleus dans le texte relèvent de la syntaxe des temporelles : dum, donec, quoad
  • Les expressions entre crochets rouges dans le texte relèvent de la syntaxe du
    subjonctif de l'ordre - défense - souhait - regret

Vocabulaire : lien vers les fiches détaillées

siccine, sicine : est-ce ainsi que ?

aveho,is,ere, vehi, vectum : transporter, emmener.

perfidus, a, um : perfide, sans foi.

discedo, is, ere, cessi, cessum : se séparer, s'écarter, quitter.

numen, inis (n) : volonté, injonction, divinité.

porto, as, are, avi, atum : porter, transporter.

perjurium, ii (n): parjure.

devoveo, es, ere, vovi, votum : vouer, consacrer, vouer aux dieux infernaux, maudire.

flecto, is ere, flexi, flectum : courber, ployer, fléchir, émouvoir.

praesto (adverbe) joint à esse : être présent, être sous la main.

immitis, is, e : qui n'est pas mûr, sauvage, cruel.

miseresco, ere : prendre pitié avec le génitif.

blandus, a, um : caressant flatteur.

promissum, i (n) : promesse.

discerpo, is, ere, scerpsi, cerptum : déchirer, mettre en pièce. Dissiper, disperser.

irritus, a, um : non ratifié, vain, inutile.

praegestio, ire : désirer vivement.

apiscor, is, i, aptus sum : atteindre, saisir, gagner, obtenir.

libido, inis (f) : envie, désir, désir effréné, caprice.

satio, as, are, avi, atum : assouvir, rassasier, apaiser.

turbo, inis, (m) : tourbillon, tournoiement.

versor, aris, ari, versatus sum : se trouver habituellement, être.

eripio, is, ere, ripui, reptum : tirer de, arracher, soustraire.

germanus, i (m) : frère germain.

cerno, is, ere, crevi, cretum : distinguer, discerner, décider.

desum, es, esse, defui : manquer, laisser sans assistance avec le datif.

dilacero, as, are : déchirer mettre en pièces.

ales, itis ( m et f) : oiseau ( poétique).

injicio, is ere, jeci, jectum : jeter sur.

tumulo,as, are, avi, atum : couvrir d'un amas de terre, ensevelir.

 

 


 

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Responsable pédagogique et contact FR : G. Cherqui

Editrice de la leçon : S. Van Esch , relecture et compléments : V.Guyot
Dernière mise à jour : 27 mars 2005